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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Saul de Haendel par René Jacobs au Théâtre de Poissy.
La venue du Messie Jacobs
Avec Saul, c'est tout un genre qu'Haendel invente, presque un monument : formes bouleversées, dimensions inédites, c'est l'oratorio tragique. Personne n'a su, véritablement, en révéler la force syncrétique, de versions tronquées, inabouties, hédonistes. Après un Belshazzar halluciné, René Jacobs y était attendu comme le Messie. Et le miracle a eu lieu.
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C'est que le chef gantois insuffle à un plateau de chanteurs qui pourrait avoir ses faiblesses, le don fondateur, essentiel d'éloquence. Ailleurs, Jeremy Ovenden ne serait qu'en voix étroite, peu amène : ce Jonathan est de pure admiration, désobéissance héroïque. Rosemary Joshua n'aurait qu'exquise musique, conscience aiguë du style : sa Michal revêt un angélisme rayonnant, merveille de bonté, de volonté, jusqu'au sacrifice. Gidon Saks s'empêtrerait dans sa voix pâteuse : c'est tout un théâtre que ce robuste Saul dresse, qu'il gronde, qu'il fulmine, qu'il désespère de terrible fatalité, d'élocution shakespearienne – Macbeth, Othello, Lear –, de réserves effrayantes de figure tragique.
Lawrence Zazzo ne serait que successeur émérite d'Andreas Scholl – David est le rôle d'une vie – dans une tessiture qui embarrasse un peu son alto grave, et de théâtre : c'est un roi qui se dessine, de la pure vertu pour laquelle il s'invente un hédonisme (Oh King, your favours with delight plus que O Lord, whose mercies numberless), animé de troublante vibration. Emma Bell n'impressionnerait que de format, de lumière opale : elle fait une Merab de rage, de mépris en vraie hybris, de repentir ciselé, et de ces trilles qui ne s'entendent qu'une ou deux fois l'an. Michael Slattery serait la plus agréable révélation, de timbre, de musique : ce Grand Prêtre est apaisement évangélique – de tous ses accompagnati rétablis –, sa sorcière, par contorsions vocales et verbales, incarne l'horreur.
Ailleurs, le RIAS serait le meilleur choeur du monde. Jacobs en fait une voix, des voix, une mobilité de couleurs insensées, des mondes qui s'ouvrent, de joie, de louange, de piété, de douleur. C'est de tout un pupitre que s'élève, riche idée, l'ombre de Samuel, qu'il amplifie – au-delà prophétisé. Et Concerto Köln, qui a parfois ses épaisseurs, ses raideurs, est l'élément du drame sur qui tout repose.
René Jacobs révolutionne Saul
René Jacobs maîtrise tout, d'un souffle, d'une vision, mais ne s'appesantit pas de soudaines bouffées romantiques – il est si simple, si gratifiant d'alanguir la Marche funèbre. Il sait ériger, évidemment, l'Epinicion en monument de délivrance, inspirer la ferveur de l'oraison funèbre, et conclure de solaire espérance, croyance. Mais c'est par le théâtre que Jacobs révolutionne Saul : continuo à ce point varié qu'il s'agit de vrais personnages, de chair, de sang - la manière dont s'introduit Saul, cinglant, les guirlandes tissées pour Michal, le dépouillement de David.
Il faut avoir entendu passer Köln, en un éclair, de la plus pure suavité au démoniaque, de la harpe caressante aux griffes de harpies. La scène d'invocation est un sommet d'horreur insensée, saisissante, insoutenable : de ces cordes giclent du venin, Jacobs crée un gouffre pour y plonger Saul. Ce sont tout les états d'un fleuve que le chef gantois révèle, assène par le sens du contraste, sa versatilité, et l'économie du geste tragique.
Saul littéralement recréé, inouï.
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