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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de l'Orfeo de Monteverdi dans la mise en scène de Philippe Arlaud au Grand Théâtre, Genève.
Orfeo sur un air de tango
Pour sa nouvelle production de l'Orfeo, le Grand Théâtre de Genève a choisi une équipe contrastée, entre la mise en scène de Philippe Arlaud et la partie musicale confiée à Il Giardino Armonico dirigé par Giovanni Antonini. Quelques touches de surréalisme qui ne remettent globalement pas en cause une vision tout à fait intéressante.
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« L'auteur propose – le lecteur, l'interprète, le metteur en scène dispose » Cette affirmation de Pierre Boulez qui date de 1979, à l'occasion de la création de la version intégrale de Lulu mise en scène par Patrice Chéreau, est plus que jamais d'actualité. Aujourd'hui, les metteurs en scène les plus décalés travaillent de concert avec les héritiers des apôtres de la fidélité. Ce que les baroqueux refusaient jadis d'un Karajan ou d'un Mengelberg au plan musical au nom d'une authenticité qui n'a jamais vraiment existé, ils l'acceptent aujourd'hui sur scène, tout en continuant d'oeuvrer plus ou moins pour leur idéal.
Il faut dire que l'irrévérence scénique est aujourd'hui passée dans les moeurs, elle serait créativité ; peu amène en revanche à l'égard de l'irrévérence musicale, on la qualifie régulièrement de trahison. N'y a-t-il pas là manque de cohérence ? Après tout, qu'est-ce qui nous oblige à systématiquement choisir un camp contre un autre ?
Aux côtés des garants de l'orthodoxie musicale, brillamment défendue par Antonini et Il Giardino Armonico, on trouvera donc dans cet Orfeo genevois une mise en scène à l'esthétique résolument décalée : Orphée en costard cravate blanc, Eurydice en aristocrate façon XVIIIe, Apollon en lunettes de soleil prêt à embarquer sur des skis, les enfers dans le style cabaret des années folles
Une foison de références que l'on appréciera diversement.
Au-delà de ces considérations esthétiques, la vision de Philippe Arlaud contient des éléments intéressants. Essentiellement cynique, le ton est donné dès le départ : un monologue glauque, mettant en scène une fillette ingénue, présente le texte délibérément cru d'un rapport d'autopsie. Probable description clinique d'un Orphée lapidé et décapité par les Bacchantes, ce texte se situe de manière très pertinente dans la tradition des vanités à l'ancienne, plaçant le thème de la mort au centre de la vision d'Arlaud. Le metteur en scène s'écarte ici de la transcription à coloration chrétienne de Monteverdi, qui veut qu'Orphée goûte l'éternité des cieux auprès de son père Apollon. Par un habile compromis, l'opéra s'achèvera par un transfert de la lapidation sur le personnage d'Eurydice.
Ce cynisme se confirme dans le portrait psychologique fort convaincant que brosse le metteur en scène d'Orphée. Au milieu d'une fête de mariage médiocre, agrémentée de tangos et de dandinements de popotins en tous genres, Orphée apparaît comme un tragico-romantique dépressif, cherchant à s'isoler volontairement dès le départ d'un monde extérieur qu'il considère comme vulgaire. Cultivant en son for intérieur – comme tout âme romantique qui se respecte – une nostalgie de l'âme soeur à laquelle il confère une valeur quasi esthétique, Orphée apparaît plus comme un être délaissé à tendance masochiste que comme un être véritablement aimant.
La mâle beauté de l'Orfeo de Victor Torres
Au plan musical, le niveau apparaît également contrasté. Alors que les choeurs du Grand Théâtre, sourds malgré leur grand effectif, se révèlent insipides, le plateau bénéficie de quelques atouts non négligeables. En premier lieu, Victor Torres, spécialiste du rôle-titre, dont la mâle beauté du timbre sied particulièrement au personnage. Si le ténor paraît un peu éteint et fatigué dans les deux premiers actes, il faut admettre que cela corrobore au mieux la lecture désenchantée d'Arlaud. La suite de l'ouvrage lui réussit cependant mieux ; il s'y révèle en effet à la hauteur de sa réputation. On remarquera aussi l'interprétation intelligente et sensible en Eurydice de Katia Velletaz, malgré un vibrato plutôt gênant au premier abord. Quant à Marie-Claude Chappuis, elle ne démérite pas dans ce trio de tête qui réserve de très beaux moments.
Le tout, sous la direction sûre de Giovanni Antonini, compose donc un spectacle quelquefois surréaliste, mais souvent pertinent. On ira par conséquent voir cet Orfeo sur un air de tango avec curiosité, pour cette vision tout à fait valable et cohérente du mythe le plus musical qui soit.
Dernières représentations les 2 et 3 février.
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BFM, salle Théodore Turrettini, Genève Le 23/01/2005 Benjamin GRENARD |
| Nouvelle production de l'Orfeo de Monteverdi dans la mise en scène de Philippe Arlaud au Grand Théâtre, Genève. | Claudio Monteverdi (1567-1643)
L'Orfeo, favola in musica en un prologue et cinq actes (1607)
Livret de Alessandro Striggio junior
Choeur du Grand Théâtre
Il Giardino Armonico
direction musicale : Giovanni Antonini et Luca Pianca
direction d'orchestre : Giovanni Antonini
mise en scène, décors et éclairages : Philippe Arlaud
costumes : Andrea Uhmann
chorégraphie : Anne-Marie Gros
préparation des choeurs : Ching-Lien Wu
Avec :
Katia Velletaz (La Musica / Euridice / Echo), Victor Torres (Orfeo), Valentina Kutzarova (Messaggiera), Marie-Claude Chappuis (Speranza), Carlo Lepore (Caronte), Marisa Martins (Proserpina), Luigi De Donato (Plutone), Fulvio Bettini (Apollo), Emiliano Gonzalez Toro (Pastore I / Spirito I), Pascal Bertin (Pastore II), Leif Aruhn-Solén (Pastore III / Spirito II), Philippe Casperd (Pastore IV / Spirito III), Fosca Aquaro (Ninfa). | |
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