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CRITIQUES DE CONCERTS 21 décembre 2024

Wolf, spectacle d'Alain Platel d'après Mozart au Palais Garnier, Paris.

Hommage ou scandale ?
© Ursula Kaufmann

Très attendu et déjà attaqué avant d'avoir été vu, le spectacle Wolf d'Alain Platel est la première des Frontières instaurées par Gérard Mortier à l'Opéra de Paris. Une expérience très forte, non sans faiblesse, mais qui réveille fort heureusement des passions trop assoupies. Mozart profané ? Rien n'est moins sûr !
 

Palais Garnier, Paris
Le 17/03/2005
GĂ©rard MANNONI
 



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    Dans un paysage culturel parisien où l'artistiquement correct et le consensuel tourneraient presque à la monotonie, ce sont deux des institutions qui pourraient être les plus conventionnelles qui secouent le plus fort le cocotier. Ces deux énormes établissements culturels, les plus officiels, très bien dotés, loin de somnoler gentiment sans déranger personne, se mettent à jouer les trouble-fête. La création du Sacre du Printemps au début du siècle dernier au Théâtre des Champs-Élysées, les premières intrusions de la musique contemporaine dans le sanctuaire des concerts classiques, l'entrée au répertoire de l'Opéra de Merce Cunningham avec Un jour ou deux, le bruit des mitrailleuses sur la musique de Berlioz à la fin du Roméo et Juliette de Béjart ne sont que quelques exemples d'audaces qui avaient chacune en leur temps suscité bien plus de hurlements que ceux entendus récemment.

    Alors, ne regrettons pas trop vite que Paris bouge encore et que les théâtres qui en ont les moyens jouent la carte du risque. C'est une belle preuve de santé plus qu'un sujet de désolation, même si l'on admet parfaitement que le goût de certains puissent se sentir agressé et que tout n'est pas réussi ni recommandable – loin de là – dans ce qui nous est proposé.

    Provoc gratuite et portes enfoncées

    Justement, tout n'est pas parfait dans ce Wolf qui agite Paris en ce moment. On y trouve des facilités, des complaisances inutiles, des portes enfoncées que l'on avait ouvertes voici plusieurs décennies – genre provocation à coup d'hymnes nationaux ou de drapeaux plus ou moins malmenés. On a déjà beaucoup donné en la matière. Cette génération devrait le savoir, même si elle était encore en barboteuses à l'époque. Ce n'est plus très malin ni très efficace. Arrêtons pourtant la liste, assez brève d'ailleurs, de ces maladresses naïves et infantiles, pour souligner plutôt le formidable travail de danse, de théâtre et de musique qui structure l'ensemble de cette proposition.

    D'abord, cessons de gémir sur le sort de Mozart entraîné dans une aventure visuelle qui serait indigne de lui. Certes, Platel, sa chorégraphe et son décorateur n'y vont pas avec des pincettes. Ce qui les intéresse, ce n'est pas le Mozart poudré à la Sacha Guitry, mais le créateur assez déjanté, marginal, malheureux à en mourir, facilement violent, et dont la musique, même si elle n‘est pas dissonante, vous torture jusqu'au fond de l'âme si on l'écoute vraiment.

    Le désespoir viscéral des grandes oeuvres de Mozart

    Merci de nous rappeler cette violence intérieure, ce désespoir viscéral, cette angoisse existentielle qui sont au coeur de la plupart des grandes oeuvres de Mozart. Bien sûr, Platel et ses complices le font avec les moyens qui sont les leurs, ceux de leur génération, ceux de leur culture, dans le contexte d'une esthétique de banlieue à la dérive. On peut ne pas aimer. Mais on ne peut qu'admirer la présence d'un vrai décor de théâtre, avec ses mystérieux petits espaces clos, ses recoins étranges, ses couleurs d'un monde sans joie, mais si farfelu qu'il rejoint souvent la gaîté. On ne peut qu'être bouleversé par l'immense talent des interprètes, danseurs et chanteuses qui se donnent sans la moindre réticence, qui payent de leur personne, avec une virtuosité non conventionnelle pour les danseurs, mais virtuosité quand même.

    © Ursula Kaufmann

    Que de prouesses physiques qui nous parlent, nous racontent les bouleversements intérieurs sous-jacents à l'apparente douceur de la musique mozartienne. Il faudrait citer tous les danseurs, de la belle Raphaëlle Delaunay qui fit ses classes ici même et qui est aujourd'hui parfaite dans ces emplois aux limites du théâtre et du grand classique, au prodigieux Samuel Lefeuvre, artiste complet. Mais ils sont tous formidables, brillants, fascinants, inattendus. Les trois cantatrices ont des voix de rêve, comme on en entend de moins en moins souvent sur nos scènes et la jolie acrobate nous fait frissonner avec son incroyable numéro de dangereuse voltige si beau à voir.

    Mozart finalement pas profané

    Alors, Mozart profané, par tous ces magnifiques artistes et parce qu'il y a une douzaine d'adorables toutous qui participent à la fête, ainsi qu'une scène à caractère sexuel pas vraiment indispensable ? On est en droit de penser qu'il l'est infiniment moins que par tant de mises en scène nulles de ses opéras, où l'on voit par exemple Donna Elvira et Donna Anna virer lesbiennes au dernier tableau et partir ensemble, ou, comme dans ma jeunesse à l'Opéra-Comique, des Noces de Figaro avec un Chérubin de soixante ans aux bajoues tremblotantes, une Comtesse au physique de Louis XVI et une Suzanne à voix de greluche. Wolf profane même Mozart infiniment moins que tant d'interprétations mollasses, grises et précieusement jolies de ses oeuvres symphoniques ou instrumentales. Même les danseurs maison ont à prendre de la graine de l'investissement total et de l'imagination de leurs camarades invités. A les regarder et à les respecter, ils ne peuvent qu'y gagner en profondeur, en vie et en personnalité.

    Avec tous ses défauts et ses faiblesses, ce Wolf, encore une fois, est un formidable spectacle, et tant mieux s'il fait frissonner les ors du Palais Garnier et hurler à la mort quelques spectateurs !



    Palais Garnier jusqu'au 5 avril.




    Palais Garnier, Paris
    Le 17/03/2005
    GĂ©rard MANNONI

    Wolf, spectacle d'Alain Platel d'après Mozart au Palais Garnier, Paris.
    Wolf
    Spectacle d'Alain Platel d'après Wolfgang Amadeus Mozart
    KlangforumWien
    Musique : Mozart, arrangement musical et direction par Sylvain Cambreling
    concept et mise en scène, Alain Platel
    décor : Bert Neumann
    chorégraphie : Gabriella Carrizo
    dramaturgie : Hildegarde De Vuyst

    Dansé par :
    Quan Bui Ngoc, Franck Chartier, Serge Aimé Caulibaly, Raphaelle Delaunay, Lisi Estara, Grégory Kamoun Sonigo, Necati Köylü, Samuel Lefeuvre, Michael Lumana, Juliana Neves, Simon Rowe, Kurt Vammaerckelberghe, Serge Vleriick.

    Chanté par :
    Ingela Bohlin, Aleksandra Zamojska, Marina Comparata.

     


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