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CRITIQUES DE CONCERTS 21 décembre 2024

Brockes-Passion de Telemann par le RIAS Kammerchor sous la direction de René Jacobs au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.

Une Passion de théâtre

Heureuse initiative de Dominique Meyer que de programmer la rare Brockes-Passion de Telemann, ne serait-ce que pour diversifier une Semaine Sainte qui verra lui succéder Saint Matthieu et Saint Jean. Et Telemann ne pouvait qu'ouvrir le feu, tant cette Passion semble superficielle devant celles de Bach, malgré l'entrain de défricheur infatigable de René Jacobs.
 

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 23/03/2005
Mehdi MAHDAVI
 



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  • Genre luthérien allemand par excellence, la Passion connaît deux illustrations musicales au XVIIIe siècle : la Passion liturgique, à l'image de celles de Bach, et la Passion-oratorio, composée sur un poème d'après les Evangiles. Le plus célèbre d'entre eux est sans doute celui de Barthold Heinrich Brockes, Der für die Sünde der Welt gemartete und sterbende Jesus (Souffrance et Mort de Jésus pour les péchés du monde), publié en 1712 et immédiatement mis en musique par Reinhard Keiser, suivi de Haendel, Mattheson, Fasch, et encore Stölzel.

    Telemann s'empare du livret en 1716, la même année que Haendel, offrant sa première contribution à un genre où il s'illustrera pas moins de cinquante fois, Passion liturgique et Passion-oratorio confondues. A un texte particulièrement théâtral, aussi expressionniste que naïf, le compositeur le plus prolixe de l'histoire répond par une musique très contrastée, volontiers virtuose, plus proche du théâtre que de l'Eglise. Comparer la Brockes-Passion aux Passions de Bach serait donc aussi vain que cruel envers Telemann, qui y emploie avec beaucoup de maîtrise le langage de l'opéra hambourgeois adepte des formes courtes, et de la cantate italienne : les rythmes sont entraînants, les mélodies simples, les chorals nus.

    La partition n'en est pas moins exigeante, aussi bien pour l'orchestre que pour les voix, sollicités avec une grande variété de climats. De la théâtralité d'une Sinfonia troublante aux envolées de dissonances violentes du trio d'âmes croyantes commentant les dernières paroles du Christ, la virtuosité, dans la concentration déclamatoire comme dans l'exubérance vocale, semble le maître mot.

    Qui mieux que René Jacobs, illustre redécouvreur de l'opéra hambourgeois, pouvait exalter les couleurs comme trop vives de cette partition ? Imparable toujours, la conduite du chef gantois ne va pas non plus sans raideur, et le récit de l'Evangéliste est parfois contraint par la précision métrique, comme les lignes de certains airs qui y gagnent néanmoins en véhémence. Mais Jacobs demeure avant tout coloriste exceptionnel, établissant un équilibre toujours idéal entre les pupitres en fonction de la nécessité du verbe. Cuivré, virtuose, l'Akademie für Alte Musik Berlin est un instrument étourdissant d'énergie et d'intelligence théâtrale. Et, bien sûr, le RIAS Kammerchor qui domine tout, de la couleur, de l'homogénéité, de l'intensité du discours, et de remarquables interventions solistes.

    Ils seraient même plus concernés qu'une distribution vocale parfois hésitante. Kobie van Rensburg est à deux doigts de s'y fourvoyer, maniéré jusqu'au ridicule et ne maîtrisant pas une partie assez exposée, alors que l'Evangéliste de Johannes Chum, souvent trop occupé à battre la mesure pour habiter son récit, à des emportements convaincants. Figure éminemment théâtrale, expressionniste jusque dans ses écarts de justesse, Dietrich Henschel use de plusieurs voix inégales, déployant en croix une puissance glaçante. Persuasive, hantée par le péché de Judas, Marie-Claude Chappuis fait valoir d'excellentes manières vocales.

    Mais le timbre de Sandrine Piau – de conduite instrumentale toujours superlative – tend à s'assécher, tandis qu'Annette Dasch tente de faire oublier des moyens démesurés en mettant son timbre de feu au service de la déclamation. Même le plateau le plus idiomatique ne saurait pourtant faire de cette oeuvre davantage qu'un oratorio parfois surprenant, souvent plaisant, en forme de comble pour la Passion.




    Théâtre des Champs-Élysées, Paris
    Le 23/03/2005
    Mehdi MAHDAVI

    Brockes-Passion de Telemann par le RIAS Kammerchor sous la direction de René Jacobs au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
    Georg Philipp Telemann (1681-1767)
    Brockes-Passion, TWV V :1 (1716)
    Livret de Barthold Heinrich Brockes

    Annette Dasch, Sandrine Piau, sopranos
    Marie-Claude Chappuis, mezzo-soprano
    Kobie van Rensburg, Johannes Chum, ténors
    Dietrich Henschel, baryton

    RIAS Kammerchor
    Akademie für Alte Musik Berlin
    direction : René Jacobs

     


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