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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Récital Vivaldi de Philippe Jaroussky, accompagné par l'Ensemble Artaserse à la Salle Gaveau, Paris.
Trésors ambigus
Fulgurante ascension que celle de Philippe Jaroussky : promesse révélée au firmament de l'intelligence musicale, fruit que l'on croyait désormais défendu par une surmédiatisation qui usurpe, broie les trop jeunes prodiges. Et vivaldien né, à l'opéra, dès les tous débuts, que ce programme de cantates de chambre consacre par la virtuosité et le trouble d'une vertigineuse ambiguïté.
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On a vu naître Philippe Jaroussky, entre des mains expertes, pionnières, Gérard Lesne, Jean-Claude Malgoire, d'abord secondaire, mais déjà étoile : la voix de l'ange matérialisée, telle que rêvée, comme l'aboutissement d'une quête initiée un demi-siècle plus tôt par Alfred Deller. Jamais contre-ténor n'avait touché de si près, par défauts cumulés, insuffisante maîtrise, couleurs banales ou agilité limitée, à cette illumination, jusqu'à l'évanouissement, que décrivent des témoignages presque incrédules sous le charme équivoque de la voix des castrats.
Le jeune contre-ténor français déploie ses ailes sur cette voie d'ambiguïté trouble, encore en devenir, mais que ce programme Vivaldi laisse transparaître plus que tout autre, riche de l'expérience, de l'autorité qui s'accroît. Ce que l'on décèle enfin, la sensualité, envahit le timbre, qui reste clair, chatoyant, et se nourrit, aussi, de la fréquentation de tessitures plus graves, qui ne forcent jamais, mais gagnent en chaleur, en présence, à défaut de puissance, alors que le visage, la posture même, gardent une finesse adolescente, d'innocentes maladresses : là serait le secret pervers de tout un art enfin ressuscité, et d'un plaisir décuplé parce que malsain ?
Mais Philippe Jaroussky ne peut se contenter, par exigence, par appétit, et tout simplement, surtout, parce qu'il est authentiquement artiste, d'être un phénomène, peut-être aussi de vouloir plus que l'éphémère. L'art est aussi dans le chant et la ligne, et le mot. Ces cantates, avouons-le, n'ont en soi rien de transcendant sinon un certain génie mélodique – la formule répétée à l'infini, et sur une littérature qui sans cesse se plagie, peut engendrer la monotonie. Cet art du chant perdu, croyait-on, le bel canto, les transfigure, d'un trille, d'une messa di voce, qui, pour une fois, n'ont rien d'illusoire.
Un instinct, un naturel, une fantaisie qui ne s'enseignent pas, voilà le véritable trésor du contre-ténor : insuffler une variété d'accents, une dynamique aux effets miraculeux, et un art de la coloration qui surpasse les possibilités expressives d'une voix qui dans le grave se cherche encore. Et une souplesse, une maîtrise absolue du souffle qui une fois encore ne s'apprennent pas, semblent innées, à n'en pas douter.
L'Ensemble Artaserse, dès lors, ne peut que pâlir. L'association basson, violoncelle, théorbe et clavecin, offre des couleurs palpitantes, là où il n'est question, inlassablement, que de coeurs palpitants, mais la souplesse ne leur est pas aussi innée, et la justesse se cherche, comme le son du violoncelle d'Emilia Gliozzi, qui sait trouver enfin des teintes sensuelles, sans répondre toutefois à l'extrême liberté d'un chant qui ne cesse de captiver.
Feu d'artifice en da capi savamment délirants, sensibilité et sensualité d'irréelle perfection, Philippe Jaroussky est tout cela, comme d'innocente insolence, et tout l'avenir devant lui.
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Salle Gaveau, Paris Le 29/03/2005 Mehdi MAHDAVI |
| Récital Vivaldi de Philippe Jaroussky, accompagné par l'Ensemble Artaserse à la Salle Gaveau, Paris. | Antonio Vivaldi (1678-1741)
Perfidissimo cor !, RV 674
Concerto n°1 en ré majeur, BWV 672 de Johann Sebastian Bach, d'après le Concerto pour violon op. 3 n° 9
Qual per ignoto calle, RV 677
Cara selve, amici prati, RV 671
Sonate en si bémol majeur, RV 45
Pianti, sospiri, RV 676
Philippe Jaroussky, contre-ténor
Ensemble Artaserse
Jérémie Papasergio, basson
Emilia Gliozzi, violoncelle
Claire Antonini, théorbe
Yoko Nakamura, clavecin et orgue | |
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