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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de la Bohème de Puccini mise en scène par Gilles Bouillon au Grand Théâtre de Tours.
Dans la Nouvelle Vague
Après un Don Carlo pris au piège de l'exiguïté, le Grand Théâtre de Tours propose pour clore sa saison une nouvelle production de la Bohème. Dans cet écrin idéal où le moindre geste, le moindre souffle sont perceptibles, le chef-d'oeuvre de Puccini nous parle de nous avec une humble sincérité, porté par une troupe soudée par la mise en scène exemplaire de Gilles Bouillon.
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Depuis quinze ans, Gilles Bouillon oeuvre avec passion au Centre Dramatique Régional de Tours. S'associant à un talent trop peu reconnu, Jean-Yves Ossonce, directeur de l'Opéra de Tours, lui a offert une dizaine de productions, parmi lesquelles on distinguera Dialogues des Carmélites, Pelléas et Mélisande ou encore Un Ballo in Maschera.
Pour cette nouvelle production de la Bohème, le metteur en scène a trouvé le ton juste, l'atmosphère idéale. Transposé dans le Quartier Latin des années 1960, son travail se nourrit, toujours à l'essentiel, en détails d'une pertinente finesse, des instantanés de Robert Doisneau et des films de la Nouvelle Vague : les changements de décors en ombres chinoises et la présence d'un projecteur entraînent le spectateur dans l'effervescence même d'un studio de cinéma.
Et son théâtre s'anime avec la vérité, le naturel qu'il faut pour ne pas froisser la pellicule par la pose ou l'emphase prétendument véristes. Pas une minute sans qu'on n'y croit : les personnages évoluent avec une aisance plus vraie que nature – impossible même de les imaginer autrement que peuplant ce Paris en noir et blanc, chaque instant magnifié par l'engagement, l'enthousiasme, la douleur aussi, et authentiques, vécus.
De sa baguette alerte, précise, Bruno Ferrandis imprègne un orchestre inévitablement étroit mais dans une forme splendide, d'une vitalité exaltante. Par souci du détail, le moindre sourire, la moindre grimace, les larmes aussi, trouvent sous sa direction un relais musical d'une rare subtilité. Même lorsque la mort rôde, le chef français reste d'un parfait contrôle, jamais larmoyant, toujours juste et investi.
Voix fraîches, pénétrantes, sensibles, la distribution se meut avec bonheur, en un miraculeux esprit de troupe. Nicolas Courjal, timbre soyeux, musicien attentif, fait un Colline d'insolente jeunesse, tandis que Ronan Nédélec virevolte, Schaunard d'humour inépuisable. Jean-Sébastien Bou, présences physique, vocale formidables, chante, et joue, et dit Marcello à la perfection. Musetta toute en jambes qui fait tourner plus que les têtes, Karen Vourc'h délecte d'un timbre léger et pimpant, avec une grâce canaille. Et si Jean-Francis Monvoisin n'est pas toujours vocalement séduisant, phrasé parfois raide, émission souvent contrainte, mais aigu facile et timbre franc, son Rodolfo touche par maladresse et sincérité.
Dans une tessiture qui lui est idéale, Mireille Delunsch pose sa voix caméléon sur un grave débordant de sensualité, tandis que l'aigu s'illumine, et le médium, nourri d'un art de diseuse toujours magistral, vibre au contact ému du mot. D'une bouleversante maîtrise de la phrase puccinienne, elle exprime, actrice miraculeuse de naturel, moderne, les fragilités de tout son être, Mimi d'une noble humilité, astre expirant d'une Bohème « nouvelle vague » en état de grâce.
La production sera reprise avec la même distribution les 29 avril, 1er et 3 mai prochains au Grand Théâtre de Reims.
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