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CRITIQUES DE CONCERTS 30 octobre 2024

Reprise de la Dame de Pique de Tchaïkovski dans la mise en scène de Lev Dodin, sous la direction de Gennadi Rozhdestvensky à l'Opéra Bastille, Paris.

Absurdités de la délocalisation
© Eric Mahoudeau

Distribution en majorité nouvelle à Bastille pour cette reprise de la production de la Dame de Pique signée par Lev Dodin en 1999. Une Dame de Pique délocalisée de chez les fous, absurde et déjà démodée, peu aidée de surcroît par la direction atone de Rozhdestvensky. Seul le plateau masculin est vraiment digne d'intérêt.
 

Opéra Bastille, Paris
Le 31/05/2005
Gérard MANNONI
 



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  • Si l'on monte le Faust de Gounod, la Damnation de Faust de Berlioz ou le Mefistofele de Boïto, on ne monte pas la pièce de GÂœthe ; même si elle est à l'origine de tous ces opéras. Pour sa production parisienne de la Dame de Pique en 1999, Lev Dodin avait pourtant choisi Pouchkine plus que Tchaïkovski, parti pris absurde qui donne un résultat aussi irritant que théâtralement mauvais. Pas facile de faire passer un chameau par le chas d'une aiguille ! C'est exactement ce qui arrive à Lev Dodin.

    La Dame de Pique est un opéra de la folie. Pour Dodin, Hermann est fou, ce qui est vrai, mais en partie seulement. Le metteur en scène va pourtant tout situer dans l'espace mental du fou, dès le début. D'où un lieu unique, un asile psychiatrique, un de plus sur une scène d'opéra où pullulent hôpitaux et autres lieux du même type depuis quelques temps. Comme cela n'a strictement rien à voir avec le livret choisi par Tchaïkovski, on va se soumettre à un certain nombre de contorsions.

    Hermann ne se suicide plus à la fin, Lisa non plus, ne se jette plus dans la Neva et se contente de s'écrouler par terre. Et ainsi de suite. D'où une série de solutions tordues, souvent grotesques comme ces petits tours de valse infligés à Lisa après sa mort – mais non elle n'est pas morte ! – car on ne sait plus très bien quoi faire d'elle dans la mesure où elle ne vogue pas au fil de la Volga.

    Une mise en scène réductrice et soporifique

    De contorsion en distorsion, on en arrive à tout fixer entre quatre murs blancs et surtout, on a un merveilleux prétexte pour éluder totalement toute direction d'acteur, c'est à dire tout vrai travail de théâtre. Hormis Hermann qui n'a qu'à s'agiter comme un fou du début à la fin, les autres entrent côté cour pour ressortir côté jardin, ou l'inverse, après avoir chanté face à la rampe. Les choeurs sont en rang d'oignons le long d'un mur, face à la rampe.

    Que nous sommes loin d'un vrai travail révolutionnaire ou innovant comme ceux d'un Chéreau, d'un Strehler en son temps, d'un Stein, d'un Grüber ou tant d'autres de la toute nouvelle génération, ou de ce que l'on peut apprécier en ce moment au Palais Garnier dans la Clémence de Titus mise en scène par les Herrmann. Le travail scénique de cette Dame de Pique est réducteur, ennuyeux, loin de la musique, de ce qui est intéressant dans l'oeuvre, de ce qui fait sa richesse et sa diversité.

    L'opéra le plus petersbourgeois de Tchaïkovski

    Car il s'agit de l'opéra le plus petersbourgeois de Tchaïkovski. La ville y est présente sous tous ses aspects, dans l'action et dans la musique. Il y a les jardins, les salles de jeux, les palais, les appartements sombres et leurs mystères morbides, la Neva. Il y a ses racines enfoncées dans le XVIIIe siècle que musique et action rappellent à diverses reprises. Il y a même la capitale des Tsars avec la présence physique de la Grande Catherine.

    Tout cela est balayé au bénéfice de la blancheur unique et fade de l'hôpital, contradictoire avec la somptuosité de la musique. Ensuite, c'est l'histoire des deux passions qui détruisent Hermann, l'amour de Lisa et celui du jeu. Elles vont évoluer, se confondre, jusqu'à ce que la seconde dévore totalement l'autre, dans un processus typiquement russe, aux limites de la magie, de la folie, mais d'une folie à la Dostoïevski, à la Gogol, pas celle des hôpitaux psychiatriques chers à l ‘ex-URSS.

    Et puis, il y a aussi cette étrange séduction exercée par Hermann sur la jeune Lisa, héroïne russe typique par sa jeunesse justement et sa pureté, par son milieu social également, dans une ville où le coexistence de la brutalité soldatesque, du raffinement d'un XVIIIe siècle à peine oublié et d'une classe dominante en pleine décadence créera bientôt les conditions de la révolution. Et en arrière plan, on trouve l'omniprésence destin, ce fatum qui obsède Tchaïkovski, et qui vous trahit, vous mène malgré vous traîtreusement à votre perte, y compris par les moyens déloyaux de la magie, comme dans le Lac des cygnes.

    Tout cela passe encore à la trappe, vu l'absence de caractérisation des personnages et la manière dont tout est figé une fois pour toutes dès le lever du rideau, géographiquement et psychologiquement. Il en résulte un spectacle si soporifique et déjà si daté qu'après l'entracte, on constate que bien des rangs se sont vidés.

    Direction plombée et somptueux plateau masculin

    Reste heureusement la musique. Malgré une direction lente, pesante, plombée, la partition éblouit toujours par son extraordinaire richesse et la variété de ses couleurs, de l'intimiste à l'effet de masse, de l'intériorité au lyrisme le plus libéré. La distribution féminine est de niveau moyen, Hasmik Papian en Lisa, Christianne Stotijn en Pauline et Irina Bogatcheva en Comtesse ne faisant oublier aucune de celles qui marquèrent le rôle à Paris, comme Karita Mattila ou Helga Dernesch, ou encore Régine Crespin dans une production calamiteuse de Varsovie.

    Les hommes, en revanche s'imposent de manière fulgurante. Vladimir Galouzine est l'indiscutable Hermann du moment, à tous égards, tant par la puissance et la nature de la voix, que par le style qui lui convient mieux que tout autre. Somptueuses interventions de Ludovic Tézier en Prince Eletski, timbre de rêve, phrasé parfait, une splendeur. Excellent Tomski également de Nikolai Putilin.

    Dommage, décidément, qu'une oeuvre pareille ait été elle aussi victime de ces fausses nouveautés et de ces prétendues hardiesses qui minent trop souvent le monde de l'opéra.




    Opéra Bastille, Paris
    Le 31/05/2005
    Gérard MANNONI

    Reprise de la Dame de Pique de Tchaïkovski dans la mise en scène de Lev Dodin, sous la direction de Gennadi Rozhdestvensky à l'Opéra Bastille, Paris.
    Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
    Pikovaïa Dama, opéra en trois actes (1890)
    Livret de Modest Tchaïkovski, d'après Alexandre Pouchkine

    Choeurs et Orchestre national de l'Opéra de Paris
    direction : Gennadi Rozhdestvensky
    mise en scène : Lev Dodin
    décors : David Borovsky
    costumes : Chloé Obolensky
    éclairages : Jean Kalman
    préparation des choeurs : Peter Burian

    Avec :
    Vladimir Galouzine (Hermann), Nikolai Putilin (Comte Tomski), Ludovic Tézier (Prince Eletski), Vsevolod Grivnov (Tchekalinski), Sergei Stilsmachenko (Sourine), Irina Bogatcheva (la Comtesse), Hasmik Papian (Misa), Christianne Stotijn (Pauline), Irina Tchistjakova (Macha), Robert Catania (Maître de cérémonie), Grzegarz Staskiewicz (Tchaplistki), Slawomir Szychowiak (Naroumov).

     


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