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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Première au Théâtre des Champs-Élysées du Tour d'écrou de Britten dans la mise en scène de Luc Bondy, sous la direction de Daniel Harding.
Les fantômes de l'opéra
La déjà célèbre production aixoise du Tour d'écrou de Britten est venue, l'espace de quelques représentations, glacer les mélomanes parisiens. Avec des atouts bien connus, notamment la Gouvernante de Mireille Delunsch, la direction de Daniel Harding et la mise en scène fantomatique de Luc Bondy. Une réussite qui s'annonce d'ores et déjà comme un classique.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 12/06/2005
Yutha TEP
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Que dire qui n'ait pas déjà été dit sur cette production créée au Festival d'Aix-en-Provence en juillet 2001 ? Disponible depuis quelques semaines, le DVD chez Bel Air permet en outre aux mélomanes d'en avoir une vision très fidèle.
Au Théâtre des Champs-Élysées, Marlin Miller dans le rôle de Quint est égal à lui-même : la suavité typiquement british et une technique très assurée – les mélismes sinueux dans le haut de la tessiture qui accompagnent l'apparition de Quint – distillent une séduction perverse. Sa fantomatique comparse, Miss Jessel, campée par Marie McLaughlin, ne lui cède en rien, peut-être même avec un surcroît de morbidité et de névrose. Les enfants sont irréprochables, notamment un étonnant Ravi Shah en Miles, timbre lumineux et un contrôle vocal exceptionnel – l'usage du vibrato. Hanna Schaer en Mrs Grose compense une tenue de souffle fragile par une présence théâtrale efficace, à la limite cependant d'un expressionnisme qui ne s'accommode pas toujours de l'économie musicale de Britten.
Et Mireille Delunsch ? La composition dramatique a été unanimement saluée, et la soprano française renouvelle sa performance. Petite réserve cependant : la diction anglaise n'est que correcte, péchant d'ailleurs plus sur le plan du placement des accents que sur la prononciation proprement dite. La progression dramatique permet à la chanteuse de faire oublier peu à peu ce défaut, mais la comparaison avec Miller et McLaughlin est cependant significative – Hanna Schaer ne s'en tire pas beaucoup mieux en ce domaine. Delunsch est cependant une grande artiste, et on se laisse peu à peu fasciner par cette gouvernante presque aussi irréelle que les spectres, tour à tour fragile et déterminée. Dans sa lutte pour la possession de l'âme de Miles, Mireille Delunsch semble presque l'emporter par inadvertance.
Une mise en scène qui accentue le fantastique
La mise en scène de Luc Bondy accentue volontiers l'aspect fantastique de l'oeuvre, répondant brillamment aux multiples changements de tableaux du livret grâce à des décors composés essentiellement de panneaux mouvants, auxquels est imprimé un savant déplacement. Citons cette grande fenêtre flanquée d'un voile que le vent fait bouger, fenêtre sur une nuit inquiétante d'où surgissent les menaces spectrales. Les lumières de Dominique Bruguière participent efficacement à cette obscurité glacée, qu'aucune once de chaleur ne perturbe, signe que le véritable salut est hors de portée.
Tout aussi glacée – au sens littéral du terme –, la direction de Daniel Harding est plus convaincante dans le deuxième acte. Dans le premier, l'objectivité dans les alliages de sonorités et de rythmes nuit quelque peu aux courbes mélodiques vénéneuses de Britten. Mais on s'incline ensuite devant la science avec laquelle le chef britannique met en relief les audaces harmoniques du compositeur, annonçant de manière implacable le dénouement final de l'oeuvre. Magnifique Mahler Chamber Orchestra, notamment des vents aux couleurs tourbillonnantes, qui réussit grâce à la maîtrise du chef à remplir suffisamment – mais de justesse – la grande nef du Théâtre des Champs-Élysées.
Au final, une grande réussite : les spectres du Théâtre des Champs-Élysées feraient presque oublier qu'il y a aussi un fantôme de l'Opéra.
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