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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 novembre 2024 |
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Nouvelle production de Temistocle de Jean-Chrétien Bach mise en scène par Francisco Negrin et sous la direction de Christophe Rousset au Théâtre du Capitole, Toulouse.
L'exaltante violence de Temistocle
Marika Schönberg (Rossane) et Metodie Bujor (Serse).
N'était l'intérêt singulier de Christophe Rousset pour les mutations de l'opera seria à l'orée du classicisme, les oeuvres fondatrices de Traetta et Jommelli, voire du jeune Mozart, seraient encore en proie à l'indifférence. Présenté au Capitole de Toulouse en coproduction avec l'Opéra de Leipzig, Temistocle de Jean-Chrétien Bach révèle bien plus que les audaces d'un réformateur.
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Lights, camera, action !
Vigueur et courants d’air
En passant par la mort
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Né en Allemagne, formé en Italie et installé à Londres, le fils cadet du Cantor de Leipzig aura mené une carrière comparable à celle de Haendel, passant à la postérité pour l'influence qu'il exerça sur le jeune Mozart, qui ne cessera de l'admirer, explorant dans Idomenée les voies ouvertes par le « Bach londonien ». L'oeuvre lyrique de Jean-Chrétien Bach participe en effet du mouvement de réforme visant à assouplir les cadres de l'opera seria.
Dans Temistocle, créé au très prestigieux opéra de Mannheim en novembre 1772, le compositeur s'appuie sur la révision du livret de Métastase par Mattia Verazi pour expérimenter un théâtre moins rigide, plus concis, encore soumis à la vocalité, mais dont les pulsions ne sont pas sans évoquer le Sturm und Drang. Cette évolution est particulièrement manifeste dans le traitement des finales des deuxième et troisièmes actes, où ensembles, récitatifs accompagnés et airs se succèdent, fulgurant emprunt à la structure de l'opera buffa, pour un impact dramatique accru.
D'autre part, l'excellence de l'orchestre de Mannheim offre à Bach la possibilité de développer une écriture concertante très exigeante pour les vents, dont les rares clarinettes d'amour, dans l'ouverture et les ritournelles. Les Talens Lyriques s'y révèlent infaillibles, comme pour se montrer digne de la réputation d'un orchestre au sujet duquel Charles Burney écrivit dans son Voyage musical dans l'Europe des Lumières : « Il est vrai que cet orchestre contient à lui seul plus de solistes et de bons compositeurs qu'aucun autre en Europe : c'est une armée de généraux, aussi aptes à dresser le plan d'une bataille qu'à la livrer ».
D'une dramaturgie opposant la terrifiante constance de Temistocle à l'évolution du tyrannique Serse vers le despotisme éclairé, Francisco Negrin exalte la violence à travers une direction d'acteurs concentrée sur la puissance des corps, magnifiés par des costumes alla Poiret et Schiaparelli. Palais d'or sur bassin lunaire, la Perse japonisante de Rifail Ajdarpasic et Ariane Isabell Unfried s'encombre malheureusement de détails superflus, d'autant que le gravier entourant le pavillon tournant de Serse ne cesse de crisser sous les pas et les roues, souvent au détriment de la musique, parfois au péril des musiciens et de leurs instruments insuffisamment protégés contre les dérapages les moins contrôlés des chanteurs.
Multiples révélations
Voix saines et stylées, la distribution compte autant de révélations que de rôles. Un peu scolaire sans doute, mais d'une ampleur exceptionnelle pour un contre-ténor, Reno Troilus déploie un timbre de toute beauté. A l'instar de Raffaella Milanesi, Lisimaco suprêmement musicien au récitatif héroïque mais à la projection limitée, Cecilia Nanneson sait émouvoir, Neocle dont le timbre gracieux peut encore s'épanouir.
Flamboyante, Marika Schönberg l'est autant de voix que de tempérament, dans ce rôle écrit pour Elisabeth Wendling, créatrice d'Electre neuf ans plus tard dans Idomenée, aux côtés de l'Ilia de sa belle-soeur Dorothea, première interprète d'Aspasia. Ainhoa Garmendia n'en maîtrise pas toujours les délicates suspensions, mais la richesse du timbre et l'intensité qu'elle confère aux airs comme aux récitatifs accompagnés dévoilent un naturel ardent.
Acteur puissant à la voix de bronze, Metodie Bujor est un superbe Serse. Et Rickard Söderberg s'empare de Temistocle, rôle taillé aux mesures d'Anton Raaf, mythique créateur d'Idomenée, avec une intelligence dramatique confondante, sans pour autant négliger le cantabile, jusque dans les vocalises les plus périlleuses qu'il assume avec davantage de vérité que de technicité.
Maîtrisant les tensions les plus violentes du drame, Christophe Rousset soigne le moindre détail d'un geste cursif, défricheur perfectionniste et inspiré d'une partition aussi périlleuse dans son exécution que novatrice dans son traitement du genre seria.
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