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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Version de concert d'Alcina de Haendel par le Gabrieli Consort and Players sous la direction de Paul McCreesh en ouverture du Festival de Beaune 2005.
Alcina sous les Ă©toiles
Karina Gauvin
Un ciel hésitant a refusé à Paul McCreesh d'ouvrir la vingt-troisième édition du Festival de Beaune dans la cour des Hospices. Les étoiles n'en ont brillé qu'avec plus d'éclat dans le choeur de la Basilique Notre-Dame, restituant l'ensorcelante Alcina aux enchantements de la vocalité, divin écrin pour la magicienne miraculeuse de Karina Gauvin.
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Malgré le succès d'estime d'Ariodante, Haendel l'opiniâtre ne pouvait s'avouer vaincu face à la concurrence pour le moins déloyale de l'Opéra de la Noblesse. Sans doute fallait-il rompre avec l'atmosphère trop sombre du précédent opus pour renouer avec le retentissant succès d'Arianna in Creta, notamment dû aux prouesses de Giovanni Carestini, successeur de Senesino, et surtout le plus sérieux rival de Farinelli.
Ce défi offre à Haendel l'occasion de parachever une trilogie inspirée du Roland furieux de l'Arioste et de composer son dernier opéra magique, destinant à la fidèle Anna Maria Strada son rôle le plus envoûtant. Alcina marque ainsi le triomphe d'une vocalité spécifiquement haendélienne en ce qu'elle transcende le bel canto purement décoratif pratiqué par la compagnie rivale.
Dans cette oeuvre où il s'agit plus pour le chef de planter le décor que de propager le drame, le manque d'affinités de Paul McCreesh avec le répertoire théâtral ne constitue pas un handicap majeur. Malheureusement, le merveilleux, la galanterie, l'héroïsme, l'ironie échappent à l'effectif minimal d'un Gabrieli Consort and Players avare de couleur, de galbe et de précision, alors que le manque de complicité entre le chef et ses chanteuses interdit à la phrase de s'assouplir, aux cadences de s'épancher entres les assauts répétés du clavecin volubile de Timothy Roberts.
Que de miracles, pourtant, à accomplir avec une distribution féminine insurpassable. La voix gracieuse, la musicalité exquise de Carolyn Sampson sont bien d'une enchanteresse soeur d'Alcina, se délectant des pouvoirs d'un aigu rond et chaud, sachant s'assombrir dans un Credete al mio dolor d'une bouleversante pureté. Bronze flexible, androgyne jusqu'à l'étrange, corps vibrant et regard enfiévré par la vengeance de la femme abandonnée, Marijana Mijanovic traduit idéalement les fragilités, les ambiguïtés de Bradamante.
D'une ampleur égale sur l'étendue phénoménale de Ruggiero, Ann Hallenberg frôle l'idéal. Si Sta nell'Ircana est plus vertigineux de facilité que d'abandon purement virtuose, le récitatif plastronnant, le legato cultivé et la malicieuse ironie de la mezzo suédoise révèlent toute la vanité du chevalier, et peut-être plus encore du castrat narcissique refusant de chanter Verdi prati, aria trop simple pour ses talents exorbitants, à tel point que Siroe, Ariodante, Serse et bien d'autres encore devraient être le privilège exclusif de cette voix rare et stylée.
Et plus évidente encore, l'Alcina de Karina Gauvin s'inscrit dans l'inaccessible lignée de Joan Sutherland et Arleen Augér. Alors qu'une Simone Kermes tend, sans génie, à monopoliser la discographie haendélienne, la soprano québécoise déploie avec des trésors de subtilité une vibration hallucinée, du grave velouté, sensuel, à l'aigu incandescent, l'intensité de l'imprécation comme de la douleur transcendées par les infinies modulations d'un timbre adamantin.
Consacré par ce miraculeux carré d'étoiles qu'une maison de disques digne de ce nom serait bien inspirée de réunir, le triomphe purement belcantiste de cette Alcina parvient à créer l'illusion que les déchaînements de couleurs, de contrastes et de fantaisie osés par des chefs tels que René Jacobs ou Marc Minkowski ne constituent plus la seule planche de salut pour un opéra haendélien en mal de gosiers rayonnants.
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