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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Tristan et Isolde de Wagner dans la mise en scène de Christoph Marthaler et sous la direction de Eiji Oue au festival de Bayreuth 2005.
Bayreuth 2005 (2) :
La passion du quotidien
Après Genève et Paris, Bayreuth ! 2005 restera l'année de Tristan ; mais dans le temple wagnérien, si la nouvelle mise en scène de Christoph Marthaler se démarque par la pertinence d'idées pas toujours abouties, la direction d'Eiji Oue et le plateau, dominé par le Tristan de Robert Dean Smith, ne resteront pas dans les mémoires.
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Des trois nouveaux Tristan, celui de Marthaler est le plus original et décalé, le plus irrévérencieux aussi. Dès le lever de rideau, on reconnaît bien la griffe du metteur en scène, dont le visuel ne se renouvelle guère : décors et costumes sixties, volonté de replacer le drame dans le quotidien et l'univers ringard des trente glorieuses. Le Suisse s'efforce d'évacuer tout pathos, toute monumentalité, afin de dessiner des personnages simples, presque naïfs, touchants dans leur vulnérabilité. Cela se paie par de grands moments d'inertie – les duos – mais confère au spectacle une force très immédiate.
Isolde, en bourgeoise aux nerfs fragiles, couche tous les fauteuils du salon pour calmer ses angoisses, avant de sombrer dans une folie douce quand elle est surprise dans son infidélité ; Kurwenal, simple d'esprit poussant la chansonnette au I, est un grand-père bienveillant au chevet de son maître ; Marke, qui empêche Melot d'achever Tristan au II, voit sa main couverte du sang du héros ; enfin, Isolde se recouvre d'un linceul blanc sur le lit médicalisé de Tristan au tomber de rideau.
D'ingénieux décors empilés
La relative laideur des costumes s'efface devant l'ingéniosité du dispositif scénique : le décor de chaque acte s'empile sur celui de l'acte suivant : un grand salon à la proue d'un navire sous un ciel étoilé au I ; un hall désert avec une porte vitrée à travers laquelle Brangäne fait le guet au II ; une cave borgne au III. Belle symbolique de l'enfermement, de l'irréversible. De même, un habile jeu de néons rythme les changements de cap émotionnel des protagonistes. Une mise en scène qui laisse parfois un goût d'inachevé, mais un vrai travail original que la partie musicale ne sert qu'insuffisamment.
Premier responsable, le commandant du navire. Le parfait inconnu Eiji Oue transforme Tristan en concerto pour clarinette et sa direction imprécise, souvent grasse, ne rend jamais justice aux lignes fuyantes et au chromatisme exacerbé de la partition. Plutôt allants dans l'ensemble, les tempi du japonais se perdent aux moments-clé du drame en lenteurs et en phrasés lénifiants. Des insuffisances qui lui vaudront une cuisante bronca aux saluts.
Le plateau, guère plus mémorable, est dominé par le Tristan de Robert Dean Smith, qui sans avoir exactement les moyens du rôle, affirme une présence accrue au fil des actes. Jamais barytonnant, le timbre est d'un véritable ténor, parfois presque trop clair, mais très facile d'aigu. Alors que le format pouvait faire craindre une fatigue au III, l'Américain se surpasse dans l'agonie du héros et prodigue quelques envolées bouleversantes.
Une Isolde loin de l'idéal
On ne suivra en revanche pas l'enthousiasme délirant qui a accueilli l'Isolde de Nina Stemme. Les grandes wagnériennes ne sont certes pas légion, mais la nouvelle coqueluche de Bayreuth est encore loin de l'Isolde idéale : le timbre n'a rien d'exceptionnel, le bas-médium reste confidentiel – et tellement loin des sortilèges vénéneux d'une Waltraud Meier –, et la voix finit par hululer dans la longueur du II, résultat d'une émission trop constamment verticale. Mais surtout, comparée à ses glorieuses aînées, la Suédoise est loin des déchirures et des contradictions du personnage – une Liebestod aux limites de l'indifférence.
On restera de même sceptique devant la Brangäne très irrégulière de Mihoko Fujimura, qui remplaçait dans l'urgence Petra Lang : appels au II inaudibles, ligne chaotique et en mal de justesse, tendance à crier les aigus. Le Kurwenal de Hartmut Welker, calamiteux en début de soirée, recadre pourtant un chant braillard et défait vers plus de précision et une incarnation saisissante au III. Enfin, on oubliera très vite le roi Marke à la musicalité de dinosaure de Kwangchul Youn, au gros vibrato et à la noirceur fabriqués, pour retenir le jeune marin rêveur, presque somnambulique, de Clemens Bieber.
À l'heure du bilan, c'est une grande frustration qui l'emporte pour ce nouveau Tristan plongé dans la passion du quotidien, qui avant tout en raison d'une partie musicale déficiente restera le moins abouti de l'année 2005.
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Festspielhaus, Bayreuth Le 18/08/2005 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Tristan et Isolde de Wagner dans la mise en scène de Christoph Marthaler et sous la direction de Eiji Oue au festival de Bayreuth 2005. | Richard Wagner (1813-1883)
Tristan et Isolde, drame lyrique en trois actes (1865)
Livret du compositeur d'après Gottfried von Strasbourg
Choeurs et Orchestre du Festival de Bayreuth
direction : Eiji Oue
mise en scène : Christoph Marthaler
décors et costumes : Anna Viebrock
Ă©clairages : Ulrich Niepel
préparation des choeurs : Eberhard Friedrich
Avec :
Robert Dean Smith (Tristan), Kwangchul Youn (König Marke), Nina Stemme (Isolde), Hartmut Welker (Kurwenal), Alexander Marco-Buhrmester (Melot), Mihoko Fujimura (Brangäne), Clemens Bieber (Junger Seeman), Arnold Bezuyen (ein Hirt), Martin Snell (ein Steuermann). | |
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