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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Hercules de Haendel au Théâtre de Poissy, France.
Hercules volé par un micro
La longueur (et peut-être les longueurs) de l'oratorio Hercules d'après Sophocle et Ovide expliquent sans doute la rareté de ses exécutions, à la scène comme au disque. Sur ce support, la seule intégrale disponible réunit John Eliot Gardiner et une extraordinaire Sarah Walker en Dejanira. Mark Minkowski lui était venu à Poissy le 14 avril dernier pour en enregistrer une nouvelle en compagnie d'Anne Sofie Von Otter dont la performance dans Ariodante est restée gravée dans tous les tympans.
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Théâtre municipal, Poissy
Le 14/04/2000
Yutha TEP
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La création d'Hercules eut lieu le 5 janvier 1745 à Londres, au King's Theatre, avec la fameuse basse Reinhold dans le rôle-titre et la mezzo-soprano Robinson dans celui de l'hystérique Dejanira. C'est cette dernière qui en réalité, tient les clés de l'intrigue, et son immense complexité psychologique exige une caractérisation sans faille. De fait, il s'agit d'un rôle en or, pour preuve le célèbre récitatif-air " Where shall I fly " de l'Acte III qui est le cheval de bataille de bien des grandes mezzo-sopranos de notre siècle.
Encore bouleversé par la magnifique réussite d'un Ariodante dans le même théâtre de Poissy, on attendait avec impatience Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre. Selon l'adage " On ne change pas une équipe qui gagne ", DGG, qui avait posé ses micros ce soir-là , avait convoqué plusieurs des triomphateurs d'Ariodante : Anne Sofie von Otter en Dejanira, Lynne Dawson en Iole et Richard Croft en Hylas. La présence du contre-ténor David Daniels, déjà haendélien confirmé, dans le rôle de Lichas relevait encore l'intérêt de cette affiche prestigieuse. Fidèles à leur réputation, les Musiciens du Louvre se montrent d'une superbe précision dans les attaques et les nuances, somptueux de couleurs et de plénitude sonore, capables des plus impalpables pianissimi puis des plus foudroyants forte. À l'unisson, le choeur en nette progression possède enfin une réelle homogénéité, et sait lui aussi déployer une vaste palette de nuances et de couleurs. La direction de Marc Minkowski est toujours aussi enthousiasmante, même si l'on eût parfois souhaité plus de spontanéité dans l'utilisation des ressources dynamiques de ses fabuleux instrumentistes ; cependant l'énergie, le dramatisme et son amour évident pour Haendel emportent toutes les réserves. Lynne Dawson, en difficulté dans le premier acte, rachète certaines approximations dans la justesse et dans les attaques, par un timbre frémissant, une ligne de chant très noble et une expression poignante. David Daniels fait valoir un timbre d'une rondeur rare et une attention louable dans le phrasé ; il lui manque cependant une réelle aisance dans les vocalises. En revanche, on est stupéfié par les progrès de Richard Croft. Discutable dans Ariodante, il s'impose -passé quelques raideurs dans le premier acte- par un phrasé exemplaire, une palette dynamique riche et parfaitement maîtrisé et un souverain contrôle technique. Tour à tour véhément et tendre, il est l'auteur des plus grands bonheurs de la soirée, tant sur le plan vocal que théâtral, Oublions le pauvre Gidon Saks, totalement assommé par un sévère refroidissement ; cela dit, on se demande comment une voix aussi lourde, quoiqu'assez belle, aussi vériste, à l'émission aussi engorgée, pourrait rendre justice aux récitatifs haendéliens ; sans parler des périlleuses vocalises de l'acte III.
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Reste la grande Anne Sofie Von Otter. Après son inoubliable Ariodante, Dejanira semblait a priori l'emploi parfait pour une chanteuse qui a marqué chacun de ses rôles par sa pénétration psychologique et son amour des mots, relayés par des ressources vocales semblant quasi infinies. La diseuse est au rendez-vous, faisant un sort à chaque mot, à chaque note ; la perfection technique est éblouissante. Mais à force de casser sa ligne mélodique pour traduire la folie du personnage, de donner priorité, sans aucun relâchement, à la variété des accents, Von Otter en oublie que la musique de Haendel est avant tout directe. Cela passe par la qualité d'un timbre (ici, le souci d'expressivité lui fait sacrifier les couleurs cuivrées de sa voix) et surtout par les grandes courbes mélodiques qui faisaient se pâmer ou pleurer les spectateurs de l'époque. Dejanira est un monstre d'égoïsme et de jalousie, elle manipule, maudit et finalement tue, mais première victime de sa paranoïa, elle souffre également : où est donc la femme amoureuse d'un homme qu'elle croit infidèle ? Von Otter passe à côté de cette souffrance, de même qu'elle escamote totalement la véhémence et la folie d'un " Where shall I fly " ? qui devrait traduire le paroxysme de la folie de Dejanira. Un peu plus de simplicité, d'abandon, et l'on eût tenu là une Dejanira inégalable. Mais il est vrai que ce soir-là , Von Otter chantait pour le micro : peut-être saura-t-il révéler une tout autre Dejanira.
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Théâtre municipal, Poissy Le 14/04/2000 Yutha TEP |
| Hercules de Haendel au Théâtre de Poissy, France. | Hercules de G. F. Haendel
Choeur et orchestre des Musiciens du Louvre
Marc Minkowski, direction
Avec Anne Sofie Von Otter (Dejanira), Lynne Dawson (Iole), David Daniels (Hylas), Richard Croft (Lichas), Gidon Saks (Hercules). | |
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