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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Version de concert de Scylla et Glaucus de Leclair sous la direction de Christophe Rousset à l'Opéra royal de Versailles.
Leclair vengé par Circé
Il aura donc fallu attendre que le CMBV consacre de Grandes journées à Jean-Marie Leclair pour entendre Scylla et Glaucus après vingt ans de silence inexpliqué. A la tête de ses Talens Lyriques, Christophe Rousset fait mieux que combler une lacune, exaltant une belle distribution dominée par la Circé volcanique de Karina Gauvin.
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L'accueil réservé à Scylla et Glaucus, unique tragédie lyrique de Jean-Marie Leclair, constitue un mystère. Si la création remporta un succès non négligeable, l'oeuvre ne fut en effet jamais reprise. Sans doute parce qu'elle arrivait trop tard dans un siècle qui se désintéressait peu à peu d'un genre qu'on disait figé dans ses conventions. Après plus de deux cents ans de silence, sa résurrection en 1986 par John Eliot Gardiner et Philippe Lénaël à l'Opéra de Lyon a connu peu ou prou le même sort, si l'on excepte son magnifique reflet discographique. Peut-être parce qu'elle arrivait trop tôt, la révolution ramiste à peine entamée, et le phénoménal succès d'Atys encore à venir.
L'opéra du compositeur lyonnais recèle pourtant des merveilles aussi nombreuses que leur séduction est immédiate, avec ce léger goût italien qui tente de libérer les carcans de la déclamation. Surtout, le personnage de Circé s'inscrit dans la lignée des grandes magiciennes de la tragédie lyrique, et offre à une interprète dotée d'un minimum de rayonnement dramatique l'occasion de briller grâce au plus kaléidoscopique des rôles.
Tourbillon vocal et scénique, Karina Gauvin emporte tout sur son passage. L'art du chant est immense, les couleurs infinies, et mieux encore, la maîtrise du style ose, par-delà le naturel de l'ornement, déverser sur la phrase un torrent de sensualité. Sa magicienne, soeur de l'italianissime Alcina, séduit en un port de voix glamour pour mieux griffer, et la scène d'invocation du quatrième acte la trouve au bord d'un précipice hallucinatoire.
Comparés à ce voluptueux démon, les deux amants n'ont que peu d'envergure. Gaële Le Roi parvient néanmoins à faire de Scylla un être de chair et de sang par l'intensité de la déclamation, dépassant les inégalités d'une vocalité peu orthodoxe. Robert Getchell n'est en revanche qu'un bien fade Glaucus, aussi linéaire dans l'air que le récitatif. Cette atonie constante est d'autant plus regrettable que le ténor américain couvre la tessiture de haute-contre avec une superbe aisance, et dans un français d'une infaillible clarté.
Figures secondaires, Salomé Haller (Vénus aguicheuse) et Céline Scheen (Amour lumineux) n'en sont pas moins expertes, et le très jeune Nicolas Achten essaie de dompter une voix encore fragile par son étonnant don d'éloquence. Quant aux Eléments de Joël Suhubiette, l'excellence de leur élocution confère à chaque intervention du choeur un relief saisissant.
Mais le plus grand défi de Scylla et Glaucus est instrumental. Sous la direction amoureusement affûtée d'un Christophe Rousset ennemi de l'effet de manche comme d'un spectre dynamique trop étendu, les Talens lyriques s'engagent dans la bataille avec bien des atouts – le train d'enfer auquel est jouée la symphonie finale, il est vrai notée « du mouvement que permettra l'exécution » n'est pas la moindre preuve de leur vélocité. Hormis un passage à vide au troisième acte, les musiciens répondent aux sollicitations les plus extrêmes, particulièrement convaincants face aux invocations de Circé, sinon toujours très souple dans les divertissements.
Le beau succès réservé à cette version de concert par la poignée de happy few réunie dans le délicieux écrin de l'Opéra royal de Versailles incitera-t-il quelque directeur de théâtre à oser Scylla et Glaucus sur scène ? Espérons-le
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Opéra Royal, Versailles Le 27/09/2005 Mehdi MAHDAVI |
| Version de concert de Scylla et Glaucus de Leclair sous la direction de Christophe Rousset à l'Opéra royal de Versailles. | Jean-Marie Leclair (1697-1764)
Scylla et Glaucus, tragédie lyrique en 1 prologue et 5 actes (1746)
Livret de d'Albaret
Les Eléments
direction : Joël Suhubiette
Les Talens Lyriques
direction : Christophe Rousset
Avec : Salomé Haller (Vénus, Dorine, une sicilienne), Céline Scheen (l'Amour, Temire), Nicolas Achten (Le chef des peuples, Licas, Hécate), Robert Getchell (Glaucus), Gaële Le Roi (Scylla), Karina Gauvin (Circé). | |
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