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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Nouvelle production de La petite renarde rusĂ©e de Janáček au Grand Théâtre de Genève mise en scène par Daniel Slater et sous la direction musicale de Guido Johannes Rumstadt.
La petite renarde désenchantée
Après un Tannhäuser d'anthologie, le Grand Théâtre revient Ă davantage de simplicitĂ© et d'innocence en offrant aux genevois La petite renarde rusĂ©e de Janáček. Une excellente idĂ©e de programmation mais un rendez-vous manquĂ© pour une production gagnĂ©e par un dĂ©senchantement contagieux, tant en scène que dans la fosse.
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Dans l'univers très codifiĂ© et souvent surchargĂ© de l'art lyrique, La petite renarde rusĂ©e est le chef-d'oeuvre de l'innocence. L'innocence perdue de l'univers des hommes, gagnĂ© par une langueur dĂ©senchantĂ©e sur laquelle Janáček apporte l'Ă©mouvante lumière de la compassion humaine ; l'innocence du monde des animaux, acceptant les tourments de la vie et accueillant l'instant dans sa prime Ă©closion. La renarde est le pont entre ces deux mondes, l'âme qui subit et transfigure la violence des hommes pour retrouver l'Ă©ternelle fraĂ®cheur de l'ĂŠtre.
De ces deux visions de la vie, Daniel Slater a clairement privilégié celle du désenchantement humain : les décors dégagent une atmosphère sinon pesante, du moins bien grisâtre. Une habile tapisserie vieillotte, d'un vert passé, sert de toile de fond aux décors d'intérieur pour se restructurer en une forêt qui revêt un aspect carton-pâte. Les animaux sont eux-mêmes conçus du bric-à -brac des humains à l'image de ce moustique aux ailes en parapluies déchirés.
Le travail de l'AmĂ©ricain souffre toutefois de deux dĂ©fauts majeurs. D'abord, un dĂ©sĂ©quilibre se crĂ©e au profit du dĂ©senchantement humain qui annihile la fraĂ®cheur de l'oeuvre, voire le message fondamentalement optimiste de la pensĂ©e solaire de Janáček. Ensuite, Slater explicite constamment le propos davantage que nĂ©cessaire, Ă l'instar de ces chorĂ©graphies superflues qui alourdissent le discours.
La petite renarde rusée est un de ses rares chefs-d'oeuvre qui rayonne par son évidence, sa simplicité, enfin dépouillées de la lourdeur rhétorique de l'opéra traditionnel. Est-il utile de forcer le trait ? Affubler chien et coq d'organes génitaux démesurés qu'ils soulagent de manière triviale dans l'unique but de nous faire constater la grossièreté des personnages jure décidément avec la poésie de l'ouvrage !
L'interprétation musicale, contaminée par une langueur contagieuse, ne compense guère les failles de la mise en scène. À l'inverse de celle de Belohlávek dans De la maison des morts la saison dernière, la direction de Guido Johannes Rumstadt apparaît particulièrement fruste : souvent brouillonne et sèche, sans lyrisme ni contrastes aucuns. La sonorité de l'orchestre de la Suisse romande se révèle elle-même inégale : cuivres claironnants, timbales primaires, problèmes de justesse récurrents aux cordes.
Une renarde au vibrato ultra-serré
Le plateau comporte quant à lui de belles individualités, même s'il ne parvient pas à redonner de la saveur à une production bien terne. Quel dommage par exemple que le timbre magnifique de Martina Janková soit à ce point gâché par une émission fébrile, un vibrato ultra-serré altérant jusqu'à la qualité du matériau et entamant la palette expressive d'une renarde que la soprano tchèque défend bien par ses talents scéniques. Ulrike Helzel lui donne une réplique beaucoup plus lyrique, mais parfois trop abrupte. Pour le reste, les hommes ne se démarquent pas plus que les choeurs, qui pourraient sonner de manière onctueuse s'ils ne se cantonnaient pas dans un détaché détestable dans la scène de noces.
Si cette production a toutes les allures d'un rendez-vous manquĂ©, on se consolera des beautĂ©s intrinsèques de la partition. Et on se dira que les ĂŞtres humains auront ce soir donnĂ© de ce chef-d'oeuvre des Ă©chos bien pâles, tĂ©moignant d'un dĂ©senchantement que seule la partition d'un Janáček compatissant pour ses pairs peut sauver.
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Grand Théâtre, Genève Le 13/11/2005 Benjamin GRENARD |
| Nouvelle production de La petite renarde rusĂ©e de Janáček au Grand Théâtre de Genève mise en scène par Daniel Slater et sous la direction musicale de Guido Johannes Rumstadt. | Leoš Janáček (1854-1928)
La petite renarde rusée, opéra en trois actes (1924)
Livret du compositeur d'après le roman de Rudolf TěsnohlĂdek
Coproduction avec le Festival de Bregenz et l'Opéra de San Francisco
Maîtrise du Conservatoire Populaire de Musique
Choeurs du Grand Théâtre
Orchestre de la Suisse Romande
direction : Guido Johannes Rumstadt
mise en scène : Daniel Slater
décors :et costumes Robert Innes Hopkins
Ă©clairages : Simon Mills
préparation des choeurs : Ching-Lien Wu & Magali Dami
chorégraphie : Aletta Collins
Avec :
Martina Janková (la renarde), Ulrike Helzel (le renard), Alexandre Vassiliev (le garde-forestier), Elizabeth Sikora (la femme du garde-forestier), Stuart Kale (l'instituteur), Bernard DeletrĂ© (le curĂ©), Jonathan Veira (Harašta), Laurence Misonne (la poule / le geai), Mariana Vassileva-Chaveeva (le chien Lapák / le pivert), Sonya Yoncheva (le coq / la chouette), Bisser Terziyski (le moustique), Slobodan Stankovic (le blaireau), Harry Draganov (l'aubergiste Pásek), Magali Duceau (la femme de l‘aubergiste), Sarah Gos/Christel Chappuis (la renarde enfant), Hadrien Dami (Frantik), GrĂ©gory Chalier (PepĂk), ClĂ©ment Dami (le grillon), Joyce Bandeira-Rodrigues (la sauterelle), Guillaume Broillet (le crapaud), Catherine Bennett (l'esprit de Terynka), Ben Wright (l'esprit du garde-forestier). | |
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