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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production d'Arabella de Richard Strauss mise en scène par Pierre Médecin et sous la direction de Günter Neuhold au Théâtre du Capitole, Toulouse.
Un monde en mutation
Pour donner toute sa profondeur à une partition souvent traitée trop légèrement, Pierre Médecin a situé l'action d'Arabella dans un monde plus inquiétant que festif. Une approche qui donne à réfléchir, dans une nouvelle production toulousaine par ailleurs remarquablement servie par ses interpètes, tant en fosse que sur le plateau.
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Avec cette intrigue qui pourrait être celle d'une opérette, Arabella a souvent trompé metteurs en scène et public. Pierre Médecin, grand straussien entre tous, a eu parfaitement raison d'aller au-delà des apparences. Il a bien vu que sous couvert d'un quiproquo amoureux sans conséquences se cachient bien des sentiments d'une violence ou d'une force exceptionnels. La passion de Zdenka pour Matteo, celle de Matteo pour Arabella, celle de Mandryka pour Arabella qui le brûle depuis qu'il a vu sa photo, celle qui va naître chez l'héroïne en rêve puis dans la réalité pour cet homme rude si opposé au petits comtes mondains qui l'entourent, et même celle du comte Waldner pour le jeu qui le ruine et l'oblige à déguiser sa cadette en garçon et le pousserait à vendre son aînée au premier venu, voilà bien les vrais éléments dynamiques d'une intrigue se déroulant dans une société en pleine décadence, menacée d'un futur sombre qu'elle ignore encore.
Dans un décor superbe – bien que cet escalier monumental soit un peu trop présent pour les yeux du spectateur et dangereux pour les chanteurs – et de fort beaux costumes, tous signés Pet Halmen, Pierre Médecin a donc choisi de situer cette histoire dans les années 1930, époque incertaine entre toutes, pendant la montée du nazisme, époque aussi de la composition d'Arabella par Strauss. La fête se déroule donc dans un contexte sombre, menaçant, que quelques images directement inspirées des Damnés, comme des citations, viennent encore alourdir. On danse, on aime, on boit, on flirte, on joue, mais dans un univers qui s'émiette, se fragilise, devient celui de tous les dangers.
Tel un immense espoir se dressera quand même l'étrange relation amoureuse si pure et si grande entre la jeune Viennoise et le noble venu de l'Est, presque aussi mal dégrossi que le Baron Ochs du Chevalier à la rose. Et l'image finale nous les montrera partant main dans la main vers le plus heureux des destin
avec au lointain une discrète croix gammée qu'ils semblent ignorer mais qui n'annonce rien de bon. On aura compris qu'une telle approche donne une dimension très intéressante, attachante, à cette partition aussi à part dans l'oeuvre du compositeur.
Malgré l'écueil présenté par de multiples marches à escalader sans cesse, les chanteurs jouent le jeu avec conviction, la direction d‘acteurs mettant bien l'accent sur ce qui différencie caractères et comportements, passion incontrôlée de Zdenka et de Matteo, celle trop brûlante et mal maîtrisée de Mandryka, et la dignité réservée et sûre d'elle d'une Arabella que rien ne peut atteindre dans sa fierté ni sa pureté.
Dommage que Pamela Armstrong, dans le rôle-titre qu'elle chante fort bien, surtout en seconde partie, manque à ce point d'allure pour être scéniquement crédible dans un personnage qui déchaîne les passions au premier regard.
Un baryton Ă suivre
Le baryton américain Andrew Schroeder, qui incarne Mandryka, a en revanche une impressionnante présence vocale et dramatique. Voilà bien une personnalité à suivre, dont le timbre, la musicalité et le sens dramatique rappellent un peu ceux d'un Bryn Terfel à ses débuts. On verra ce que l'avenir réserve, mais il y a là une personnalité marquante.
Franz Mazura parle plus qu'il ne chante le rôle du comte Waldner, mais quel impact scénique et que de souvenirs immenses associés à ce très grand artiste ! Alexandrina Miltcheva a en revanche encore une très grande partie de sa si belle voix, ce qui donne un relief inattendu à Adelaïde. Anne-Catherine Gillet , voix un peu verte, campe une Zdenka vive et touchante face au Matteo convaincant de Gilles Ragon. Étrange carrière que celle de ce chanteur venu du baroque et capable aujourd'hui de tenir à ce niveau un important rôle straussien !
On est en droit d'apprécier modérément les cris perçants de Martina Rüping en Fiakermilli, mais il faut louer Elsa Maurus pour la présence vocale qu'elle confère aux brèves apparitions de la diseuse de bonne aventure. L'Orchestre national du Capitole a su répondre avec intelligence et talent aux belles propositions de Günter Neuhold, un habitué du Capitole où il a déjà remporté maints succès, dans le répertoire straussien notamment.
Déroutante, inhabituelle, originale, comme tant de mises en scène de Pierre Médecin qui ne fut jamais un routinier ni un conformiste, cette production donne a réfléchir et marque certainement un tournant dans l'approche d'une partition trop rare sur les scènes lyriques malgré sa très captivante beauté.
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Théâtre du Capitole, Toulouse Le 28/02/2006 Gérard MANNONI |
| Nouvelle production d'Arabella de Richard Strauss mise en scène par Pierre Médecin et sous la direction de Günter Neuhold au Théâtre du Capitole, Toulouse. | Richard Strauss (1864-1949)
Arabella, comédie lyrique en trois actes (1933)
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Choeur et Orchestre national du Capitole
direction : GĂĽnter Neuhold
mise en scène : Pierre Médecin
décors, costumes et éclairages : Pet Halmen
Avec :
Franz Mazura (le comte Waldner), Alexandrina Miltcheva (AdelaĂŻde), Pamela Armstrong (Arabella), Anne-Catherine Gillet (Zdenka), Andrew Schoeder (Mandryka), Gilles Ragon (Matteo), Steffen Schantz (le comte Elemer), Matthias Vieweg (le comte Dominik), Nicolas Courjal (le comte Lamoral), Martina RĂĽping (Fiakermilli), Elsa Maurus (une diseuse de bonne aventure). | |
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