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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 décembre 2024 |
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Première à Paris du Fierrabras de Schubert dans la mise en scène de Claus Guth et sous la direction de Franz Welser-Möst au Théâtre du Châtelet.
Une leçon de mise en scène
Opéra posthume au destin aussi malheureux que celui de son compositeur, Fierrabras nous arrive de la manière la plus positive qui soit grâce à l'invitation faite par le Châtelet à l'Opéra de Zurich. Une excellente distribution et une mise en scène d'une intelligence brillante pour un ouvrage qu'il faut défendre mais qui le mérite.
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Bons baisers d’Eltsine
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Pris dans les conflits et les remous de l'opéra allemand à ses balbutiements, Fierrabras ne connut les honneurs de la scène que bien des années après la mort de Schubert. Il nous apparaît aujourd'hui comme absolument typique des goûts et de la sensibilité du romantisme naissant aussi bien par son livret que par sa musique. Nous sommes dans un monde historique et guerrier de même nature que celui de Rienzi ou de bien des opéras de Meyerbeer, de Bellini ou du jeune Verdi par exemple.
Intrigue compliquée, embrouillée, même, mais permettant l'expression de sentiments extrêmes, amour plus fort que la mort, vaillance guerrière, valeurs de l'amitié et du pardon. C'est généreux et sympathique, même si la forme dramatique choisie pour exprimer tout cela n'est pas conforme à nos comportements actuels plus portés vers le cynisme et l'ironie en pour tout ce qui touche à la grandeur d'âme.
Mais voilà , mettre en scène ce conflit aux incidences multiples entre Francs et Maures, avec des personnages aussi improbables dramatiquement que Charlemagne, Roland et sa fille, face à un chef Maure et à son fils, tous embarqués dans des intrigues où se mêlent vie privée et ambitions politiques et religieuses, c'est une tâche des plus ardues. Par chance pour Schubert, le metteur en scène Claus Guth a eu l'idée qu'il fallait, prouvant du même coup qu'une transposition dans le temps pouvait se révéler on ne peut plus efficace.
Ici donc, point de croisés en armure ni de dames en hennins, mais des contemporains de Schubert, le compositeur en personne menant l'action qu'il organise devant nous – quand elle ne lui échappe pas – tout en composant la musique. Les trois principaux héros sont habillés comme lui, pour bien souligner que leurs souffrances sont les siennes sous différents avatars, et tout se passe dans le cadre d'un salon bourgeois dominé par un piano géant.
C'est inattendu, drôle, touchant et absolument efficace à tous égards, les différentes interventions du compositeur s'intégrant dans l'action, jusqu'à la scène ultime où le malheureux Fierrabras, qui est finalement le dindon de la farce, espère jusqu'à la dernière seconde bénéficier lui aussi d'un dénouement selon ses vœux. Déçu, il fait carrément la gueule au compositeur !
Tout cela fonctionnerait sans doute moins bien si le spectacle n'était défendu par un ensemble de chanteurs jeunes mais très expérimentés, la plupart titulaires de premiers rôles mozartiens notamment à Salzbourg et ailleurs. Les filles sont jolies, les garçons ont le physique romantique adéquat, cheveux longs et petites lunettes schubertiennes. Ils jouent tous aussi bien qu'ils chantent, avec esprit, intelligence, naturel.
Franz Welser-Möst, l'un des meilleurs chefs lyriques actuels, que l'on accueille bien trop rarement en France, dirige cette musique dans son plus exact climat. On y retrouve non seulement les couleurs de la mélodie et de l'orchestration les plus schubertiens, mais aussi bien des thèmes et passages qui évoquent Weber ou le Fidelio de Beethoven, avec notamment ces interventions des trompettes depuis la coulisse annonçant, comme à la fin de l'unique opéra de Beethoven, quelque événement « ex machina ». Les choeurs chantent bien et, même si quelques longueurs ne peuvent être niées dans la deuxième partie, on passe une soirée d'opéra d'une qualité globale bien rare aujourd'hui.
Le succès a été honorable, sans plus. C'est dommage mais peu étonnant. Un certain public parisien continue de se repaître uniquement de vedettes et reste toujours aussi incapable de goûter ce qui est purement musical et n'a pas fait l'objet d'un tapage médiatique bien orchestré. Comme le remarquait notre voisin, il est dommage que des gens qui peuvent consacrer trois heures et demi à écouter un opéra ne puissent y ajouter quelques minutes supplémentaires pour applaudir davantage un spectacle aussi accompli. Mais sans doute n'y ont-ils rien compris !
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Théatre du Châtelet, Paris Le 08/03/2006 Gérard MANNONI |
| Première à Paris du Fierrabras de Schubert dans la mise en scène de Claus Guth et sous la direction de Franz Welser-Möst au Théâtre du Châtelet. | Franz Schubert (1797-1828)
Fierrabras, Heroisch-romantisch Oper en trois actes (1897)
Livret de Josef Kupelwieser
Choeur et Orchestre de l'Opéra de Zurich
direction : Franz Welser-Möst
mise en scène : Claus Guth
décors et costumes : Christian Schmidt
Ă©clairages : JĂĽrgen Hoffmann
préparation des choeurs : Ernst Raffelsberger
Avec :
Gregory Frank (Charlemagne), Juliane Banse (Emma), Christoph Strehl (Eginhard), Michael Volle (Roland), Volker Vogel (Ogier), Günther Groissböck (Boland), Jonas Kaufmann (Fierrabras), Twyla Robinson (Florinda), Irène Friedli (Maragond), Ruben Drole (Bratamonte), Sandra Trattnigg (Jeune fille de la suite d'Emma), Wolfgang Beuschel (Schubert). | |
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