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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Première au Grand Théâtre de Genève de la Clémence de Titus de Mozart mise en scène par Yannis Kokkos et sous la direction de Christian Zacharias.
La Clemenza DiDonato
Anna Caterina Antonacci (Vittelia) et Joyce DiDonato (Sextus).
Avec pas moins de six enregistrements, dont quatre nouveautés, la Clémence de Titus restera comme le grand vainqueur de l'année Mozart, réhabilitation définitive d'une oeuvre condamnée au purgatoire dès sa création. D'un luxe quasi-discographique, la distribution réunie à Genève n'a pas vraiment tenu ses promesses, à l'exception du Sesto absolu de Joyce DiDonato.
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Bâtiment des Forces motrices, Genève
Le 06/05/2006
Mehdi MAHDAVI
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De la légendaire « porcherie tudesque » de l'impératrice Marie-Louise au sortir de la création à « l'échec non dénué de qualités » de Piotr Kaminski dans son titanesque Mille et un opéras, la Clémence de Titus aura essuyé les critiques les plus acerbes durant plus de deux siècles. Avec pas moins de six parutions, dont quatre nouveautés, la réhabilitation de l'ultime opera seria de Mozart, initiée dès la fin des années 1960 par Jean-Pierre Ponnelle, semble désormais acquise, notamment grâce aux contributions révolutionnaires des Herrmann, dont la production créée à Bruxelles en 1982 a enfin connu les honneurs du DVD dans la captation de la reprise parisienne de 2005, et de René Jacobs, dont l'enregistrement vient de paraître chez Harmonia Mundi.
Aussi prestigieuse soit-elle, la distribution du retour genevois de cet opera seria réduit en véritable opéra par Signore Mazzolà , selon l'expression même de Mozart, promettait sans doute davantage qu'elle ne pouvait tenir. Face à un Publius et une Servilia ordinaires de voix comme d'expression, l'Annius de Marie-Claude Chappuis rayonne. Superbe de timbre, de conduite, de jeunesse et d'investissement, la mezzo-soprano suisse n'en paraît pas moins tendue dans les phrases les plus exposées de son second air.
De stature, de diction et de couleur, à la fois sombre et claironnante, Charles Workman est un Titus idéal. Mais son émission contrainte lui interdit tout legato et toute variation dynamique, sinon détimbrée. Dès lors, cette voix ferme et virtuose ne laisse jamais le doute s'insinuer dans l'esprit de l'empereur. De même, Anna Caterina Antonacci possède comme peu avant elle l'exacte couleur de Vitellia, sombre flamme à l'italianità mordante dans le grave et le médium, en vocalises conquérantes.
Mais la soprano italienne, sacrée diva assoluta un peu aveuglément après une Cassandre certes incendiaire, mais que ses prestations ultérieures ont été loin d'égaler, a malheureusement toutes les peines du monde à venir à bout d'un rôle dont elle ne maîtrise pas l'ambitus meurtrier. Le redoutable trio Vengo
aspettate
Sesto ! la laisse ainsi à court de timbre et de souffle, bridée dans ses élans tragiques par d'indispensables précautions, dont pâtit la ligne rebelle d'un Non più di fiori aux registres superbement fondus.
Le Sextus absolu de Joyce DiDonato
Une fois admis que Sextus est le travesti mozartien le plus gratifiant pour une mezzo dotée d'un minimum d'extension et d'agilité, Joyce DiDonato s'y révèle d'emblée exceptionnelle, absolue même, tant elle y déploie les meilleures qualités de ses plus illustres devancières, transcendées par cette violence frémissante qui n'est qu'à elle. Possédée, ardente, dardée dans sa fragilité, la vocalité mozartienne lui inspire les accents les plus saisissants sur une palette dynamique d'une exceptionnelle richesse, expression d'une présence vibrante que Yannis Kokkos semble livrer à elle-même, sans en explorer l'inestimable force, pas plus qu'il ne dirige les formidables acteurs que sont Antonacci et Workman, comme prisonniers de leur corps.
Et plutôt que de mettre à profit l'exiguïté de la scène en se concentrant sur les conflits entre sphères publique et privée, le metteur en scène tente d'exalter la dimension rituelle du pardon, comme pour mieux fraterniser avec la Flûte enchantée, sans parvenir à dépasser les contraintes d'une scénographie plus étouffée que dépouillée.
Pour ses premiers pas dans la fosse, Christian Zacharias sait ne pas figer le discours en évitant une lecture concertante, mais ne parvient pas toujours à composer avec la sécheresse du lieu, peu flatteuse pour un Orchestre de chambre de Lausanne dont les sonorités se révèlent trop uniment claires et les accents insuffisamment précis et variés, sans fulgurance aucune dans un Finale de premier acte embrasé par l'incandescente Joyce DiDonato.
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