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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Don Carlos de Verdi dans la mise en scène de Gustav Rueb et sous la direction de Marco Guidarini à l'Opéra du Rhin.
Un Don Carlos contrefait
Nicholas Snowman, directeur de l'Opéra du Rhin, multiplie les projets ambitieux. Mais s'il faut du courage pour monter Benvenuto Cellini ou les Troyens, oser Don Carlos en cinq actes et en français relève de l'inconscience. Distribution cosmopolite, concept de mise en scène inconsistant, orchestre inégal, le chef-d'oeuvre du grand opéra verdien attend encore son heure.
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Don Carlos, enfin ! Oser la version française du chef-d'oeuvre du grand opéra verdien, devenue une absolue rareté, est en soi un exploit. Mais en choisissant de présenter dans la langue originale la version italienne de Modène, élaborée à partir de la version milanaise en quatre actes de 1884 – révisée en français par Verdi –, augmentée de l'acte de Fontainebleau, plutôt que celle de la création de 1867, l'Opéra national du Rhin a fait l'impasse sur les choix musicologiques que permettent la variété des sources. Il aura donc fallu se résigner à ne pas entendre, parmi tant d'autres merveilles, la scène des bûcherons du premier acte, supprimée dès avant la première, l'échange des manteaux entre Elisabeth et Eboli, et surtout faire le deuil de la bouleversante plainte de Philippe II sur le corps de Posa, qui deviendra quelques années plus tard le Lacrymosa de la Messa da Requiem.
Dès lors, la langue française s'imposait d'autant moins que la distribution la pratique avec des malheurs divers. L'américain Andrew Richards tente de soigner son élocution, et demeure constamment intelligible à défaut d'être idiomatique, mais son style poussif et larmoyant, imité de Neil Shicoff dont il s'applique également à contrefaire le timbre sans en posséder le magnétisme, sa technique anarchique dès que se profile la zone de passage privent son Carlos de séduction et d'élégance.
Touchante de timbre et d'intentions, Nataliya Kovalova peine à trouver l'assise d'Elisabeth aux extrêmes de la tessiture : l'aigu, dont la maîtrise demeure totalement aléatoire, se durcit, et le grave s'enroue. Mais ses couleurs chaudes sont un baume comparées aux stridences incontrôlées de l'Eboli de Laura Brioli. S'exprimant dans une langue rarement identifiable, la mezzo italienne joue les viragos à la justesse hasardeuse, et tient à pallier son manque d'extension vocale par ses cris incessants. D'une clarté hors sujet, le Grand Inquisiteur de Sami Luttinen, pourtant originaire d'une Finlande si riche en basses profondes, est près de finir aphone, à moins qu'il n'ait pas trouvé d'autre moyen d'exprimer vieillesse et sens politique que de cracher ainsi sa voix.
Le salut viendra donc des voix françaises, encore que Nicolas Cavallier ne soit en rien une basse chantante, contraint d'user de trucs dignes d'une vieille basse anglaise pour conférer poids et autorité à son instrument. Que ce fin diseur compose par l'allure et les inflexions un Philippe II d'une humanité profonde, déchirée, est incontestable, mais sa voix se délite, jusqu'à ne plus montrer qu'une trame grisâtre à l'heure du sacrifice.
Ludovic TĂ©zier, meilleur Posa de notre Ă©poque
Le Posa de Ludovic Tézier n'en est que plus exceptionnel encore. Diction lyrique, bronze opulent, ligne altière, le baryton français se distingue comme le meilleur interprète actuel d'un rôle dont il possède l'exacte carrure vocale et physique. Il reste à ce superbe artiste à rencontrer le metteur en scène capable de révéler l'acteur qui sommeille en lui.
Gustav Rueb, chargé de porter à la scène le concept original de Christof Loy, ne peut y prétendre, handicapé par les figures imposées d'une actualisation bête et méchante. Il est à cet égard fort délicat de juger cette production sans savoir où s'arrête le concept pour laisser place à sa réalisation. Chaises électriques, gardes du corps, mise en abyme du spectacle politique de l'autodafé, ce que Peter Sellars réussit avec génie est ici contrefait avec maladresse, jusqu'à la vacuité, tant les espaces, aussi réduits soient-ils, comme cette cabane de Fontainebleau appelée à hanter la mémoire d'Elisabeth et de Don Carlos, expriment le vide, l'absence de direction, plutôt que la solitude, à peine meublés de quelques poncifs à l'éloquence suspecte.
Par sa direction énergique, Marco Guidarini tente de raviver la flamme du Grand opéra, mais se laisse parfois aller à des alanguissements que l'Orchestre philharmonique de Strasbourg est bien en peine d'assumer, incapable de nourrir les couleurs que le chef italien lui suggère. À l'image du putsch de l'Infant, ce Don Carlos désarmé, qui du marquis Tézier fait un duc, restera comme une occasion manquée.
Les 23, 26, 28 et 31 mai ; 3 et 6 juin à l'Opéra de Strasbourg.
Les 23 et 25 juin Ă la Filature de Mulhouse.
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Opéra du Rhin, Strasbourg Le 20/05/2006 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production de Don Carlos de Verdi dans la mise en scène de Gustav Rueb et sous la direction de Marco Guidarini à l'Opéra du Rhin. | Giuseppe Verdi (1813-1901)
Don Carlos, Grand Opéra en cinq actes (1867),
Livret de François-Joseph Méry et Camille du Locle d'après la pièce de Schiller
Version de Modène (1886) chantée dans le texte original français
Choeurs de l'Opéra national du Rhin
Choeurs auxiliaires
Orchestre philharmonique de Strasbourg
direction : Marco Guidarini
mise en scène : Gustav Rueb
décors : Herbert Murauer
costumes : Bettina Walter
Ă©clairages : Reinhard Traub
direction des choeurs : Michel Capperon
Avec : Nataliya Kovalova (Elisabeth de Valois), Laura Brioli (Eboli), Andrew Richards (Don Carlos), Ludovic Tézier (Rodrigue, Marquis de Posa), Nicolas Cavallier (Philippe II), Sami Luttinen (Le Grand Inquisiteur), Günes Gurle (Un Moine), Susanna Kirchesch (Thibault), Alain Gabriel (Le Comte de Lerme), Mario Montalbano (Un héraut royal), Ainhoa Zuazua Rubira (La voix du ciel). | |
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