Son récent disque Brahms est là pour en témoigner : Nicholas Angelich est aujourd'hui parvenu à un degré de maturité artistique qui dépasse largement la simple prouesse technique et digitale. Certes, il prend plaisir à adopter souvent des tempi extrêmes, comme dans le premier mouvement de la Sonate Waldstein de Beethoven ou dans les Variations Paganini de Brahms.
Et là, c'est vrai, on est d'abord admiratif devant tant de sûreté et d'habilité digitiale, devant la souplesse, la fermeté et l'agilité du travail de bras et de poignets. Une sorte d'émotion au premier degré, comme en procurent d'ailleurs beaucoup de ses contemporains.
Mais, comme il joue aussi la 12e sonate de Beethoven et les 2 rhapsodies op. 79 de Brahms qui appellent des climats plus calmes tout comme le deuxième mouvement de la Waldstein on se rend vite compte que toutes ces interprétations vont infiniment au-delà et qu'un propos des plus approfondis soutient ces édifices.
Le Beethoven de Nicholas Angelich est bien sûr respectueux d'une certaine tradition et de règles de base incontournables. Néanmoins, par le jeu des accentuations souvent nouvelles et inattendues, par la manière dont certaines phrases sont dessinées, modelées, colorées et on pense encore au deuxième mouvement de la Waldstein ou à certaines variations de Brahms, y compris les plus acrobatiques c'est un éclairage différent qui est porté sur le piano romantique, ou tout au moins une approche si pertinente qu'elle donne à réfléchir.
Il n'y a là rien d'ostentatoire. Juste une terrible et absolue sincérité qui révèle de manière exemplaire comment on peut vivre aujourd'hui, à 35 ans, des pages qui regorgent d'une sève vitale si souvent oubliée au fil des ans et des écoles. Alors, on reçoit cela en plein visage, ou en plein coeur, selon la nature des oeuvres.
Plus qu'une redécouverte, il s'agit d'une nouvelle appropriation mise à la disposition de notre sensibilité. Il y a assez de repères pour qu'on ne s'affole pas, mais assez de personnalité pour que le voyage proposé soit pour nous stimulant, différent, bien plus proche de nous et nous pousse même à écouter d'autres interprétations d'une oreille plus perspicace, plus exigeante. C'est impressionnant de talent, et aussi d'intelligence.
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