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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Nouvelle production de l'Élixir d'amour de Donizetti mise en scène par Laurent Pelly et sous la direction d'Edward Gardner à l'Opéra de Paris.
Un Élixir au chant frelaté
Heidi Grant Murphy (Adina) et Paul Groves (Nemorino).
Alors que la fin de saison approche à grands pas, l'Opéra de Paris affiche une nouvelle production de l'Élixir d'amour de Donizetti, ouvrage qui n'avait pas eu ses honneurs depuis près de vingt ans. Si le spectacle s'avère relativement efficace, la distribution est quant à elle plus discutable, avec une prima donna guère à la hauteur.
Critique de la seconde distribution
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Opéra Bastille, Paris
Le 30/05/2006
Yutha TEP
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Complicité artistique
Sombre Volga
Hommage au réalisme poétique
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Le programme indique que l'Élixir d'amour n'avait plus attiré l'attention de l'Opéra de Paris depuis 1987, dans la production de 1973 d'Otto Schenk importée de Vienne. La distribution d'alors réunissait Christine Barbaux, Luciano Pavarotti ou encore Gino Quilico. Comme pour beaucoup d'ouvrages du belcanto tardif, réunir aujourd'hui une distribution idéale n'est pas chose aisée, même si Adina n'est pas Lucia et que point n'est besoin de la réincarnation de Maria Callas pour tenir correctement pareil emploi.
Il est donc permis de se demander ce qui a pris à la première maison lyrique de France de confier le rôle à Heidi Grant Murphy, alors qu'on doit compter une bonne douzaine de chanteuses italiennes offrant à l'heure actuelle toutes les qualités requises. L'aisance scénique, incontestable, ne suffit pas, et si les notes – à l'exception des graves –, sont à peu près au rendez-vous, c'est au prix de contorsions vocales qui leur ôtent toute beauté et toute élégance, sans compter une intonation souvent trop basse et une émission pincée qui n'est pas sans rappeler celle de Dawn Upshaw. À oublier très vite, en attendant Ekaterina Syurina en juillet.
À peine plus au fait du langage donizettien, le Nemorino de Paul Groves en a du moins la beauté du timbre et le raffinement du chant. Indisposé comme annoncé, le ténor américain a suscité quelques inquiétudes mais quelle tenue vocale, quel galbe dans le névralgique Una furtiva lagrima ! Et sa silhouette de grand benêt trop vite grandi est un plaisir théâtral. L'abattage scénique et vocal de Laurent Naouri en impose, Belcore peut-être un peu plus sombre et venimeux que d'ordinaire, mais la ligne de chant n'est pas la plus travaillée que l'on connaisse.
Au final, avec des moyens vocaux considérables, seul le truculent Dulcamara d'Ambrogio Maestri maîtrise vraiment les arcanes du belcanto romantique, et ses entrées en scène sont autant de bouffées d'air italien. L'italianità , voilà ce qui manque parfois à la direction d'Edward Gardner, l'actuel directeur de l'English National Opera, mais la verve est là , de même que le fini instrumental – des alliages de timbres très réussis – qu'il obtient d'un orchestre très en place.
L'Italie rurale des années 1950
Et Laurent Pelly dans tout cela ? Très attendue, sa mise en scène ne regarde évidemment pas du côté des fastes baroco-excentriques d'Omar Porras à l'Opéra de Nancy en février dernier. Comme de coutume avec le metteur en scène français, la transposition prévaut : c'est ici l'Italie rurale des années 1950, telle que le cinéma a pu l'immortaliser, qui sert de cadre à une intrigue somme toute pleine de naïveté, Donizetti reléguant sa morale un peu grinçante derrière la beauté de la musique.
La direction d'acteurs est toujours aussi remarquable et les idées foisonnent, souvent judicieuses – l'entassement de bottes de foin sur lesquelles les personnages se meuvent – parfois un peu gratuites – le chien qui traverse le plateau à l'entrée de Dulcamara. On peut préférer un monde plus lumineux s'agissant d'une telle partition, mais le propos de Pelly est toujours limpide, ce qui n'est déjà pas si mal par les temps qui courent, et la tendresse désabusée qui s'en dégage possède elle aussi son propre charme.
Destiné avant tout à faire venir le public, ce nouvel Élixir atteint son objectif, à travers un spectacle qui va rapidement trouver ses marques. Mais les amateurs de beau chant risquent, eux, d'en sortir un peu déçus.
Opéra Bastille jusqu'au 27 juin.
Nouvelle distribution du 3 au 15 juillet.
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Un élixir au cocktail bien dosé
Le changement de prima donna – la Russe Ekaterina Syurina succédant à la contestable Heidi Grant Murphy dans le rôle titre de la riche et jolie Adina – fait incontestablement la différence. Un peu hésitante dans le premier acte – Chiedi all'aura lusinghiera –, la soprano prend progressivement ses marques tant par le naturel de son expression théâtrale que par une intonation de plus en plus affirmée – en particulier dans les duos avec Nemorino et Dulcamara où elle compense le sprechgesang d'Alberto Rinaldi, comédien confirmé dans le personnage de charlatan mais à la voix quelque peu en-deçà de ce rôle bouffe dans la tradition rossinienne du Barbier de Séville.
Les autres partenaires tirent tous leur épingle du jeu aussi bien par leur présence scénique que par leur tenue vocale. Le Nemorino ingénu du prétendant Tomislav Mužek sait en particulier alterner avec bonheur sentiments tendres – la célèbre cavatine du deuxième acte Una furtiva lagrima – et charme belcantiste d'une belle aisance et d'un galbe souverain qui s'attire toutes les faveurs du public.
Son rival Belcore, interprété par le polonais Mariusz Kwiecien, donne toute l'autorité caricaturale à ce sergent infatué et ridicule qu'il sert avec une assurance et une projection qui correspondent à ce que l'on attend de ce bellâtre démonstratif et excessif dans son orgueil de matamore. Plus en retrait, la Giannetta idyllique de sa compatriote Aleksandra Zamojska est plus qu'un faire-valoir dans ses apparitions de soprano léger tout à fait en situation.
Bien secondé par un orchestre souple et coloré, la belle tenue de la direction du chef britannique Edward Gardner – qui n'en est pas à son coup d'essai – s'avère efficace mais sans surprise. Elle donne toutefois une homogénéité et une cohérence à cet Élixir sans prétention dont on accueille favorablement le retour à l'Opéra de Paris.
Michel Le Naour, Opéra Bastille, le 3/07/2006
Ekaterina Syurina (Adina)
Tomislav Mužek (Nemorino)
Mariusz Kwiecien (Belcore)
Alberto Rinaldi (Dulcamara)
Aleksandra Zamojska (Giannetta)
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