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CRITIQUES DE CONCERTS |
22 décembre 2024 |
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Récital du pianiste Lang Lang au Théâtre du Châtelet, Paris, dans le cadre de Piano****.
Les contradictions d'un surdoué
Icône de la génération montante des virtuoses chinois, adoré des uns et détesté des autres, Lang Lang avait en cette soirée de fête de la musique les honneurs de la salle du Châtelet, grâce à la programmation de Piano****. Acclamations des fans, bouquets de fleurs, le triomphe est incontestable. Pour le critique, restent aussi quelques interrogations.
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Que Lang Lang soit un surdoué du piano, on ne saurait guère le contester. Premiers concerts à l'âge de cinq ans dans sa Chine natale, études brillantes, carrière internationale lancée dès la fin de l'adolescence, concerts dans le monde entier et même la reconnaissance d'une personnalité qui dépasse les normes du virtuose habituel, une nomination comme ambassadeur de bonne volonté de l'UNESCO.
Et de fait, ce récital courageusement affiché dans la très vaste salle du Châtelet – mais combien d'illustres virtuoses ne commencèrent-ils pas à affronter le public parisien jadis devant des salles Pleyel ou autres encore moins pleines que ne l'était le Châtelet ce mercredi soir ? – a confirmé les possibilités hors normes du jeune musicien.
Une technique infernale d'abord – qu'il est loin d'être le seul à posséder – et surtout une capacité à raconter mille choses avec la musique qu'il joue. Mais justement, à vouloir trop en raconter, Lang Lang ne finit-il pas par se perdre dans les dédales de ses multiples intentions, d'autant que celles-ci paraissent souvent contradictoires, dans la même oeuvre ou d'une oeuvre à l'autre ?
La soirée commence très bien, avec une 10e sonate KV. 330 de Mozart traitée avec beaucoup de goût, un toucher onctueux, des nuances sobres et intelligentes. Morceau plus significatif ensuite, avec la Sonate en si mineur de Chopin. L'Allegro maestoso est abordé dans un superbe esprit bellinien, la main droite développant le chant avec un phrasé idéal planant sur les murmures de la main gauche qui créé un climat poétique on ne peut plus adéquat. On nage alors en plein bel canto, en rêvant que certaines chanteuses sachent avoir cette liberté, cette élégance et cet abandon contrôlé dans le Casta diva de Norma !
Et puis, déjà dans le Scherzo, on commence à avoir du mal à comprendre les choix, entre une virtuosité assez extérieure et des rêveries déjà un peu trop alanguies. Le Largo, abordé dans un tempo d'une lenteur excessive, perd une bonne part de la beauté de ses lignes mélodiques en d'infinis atermoiements noyés dans un excès de pédale et une trop grand uniformité de son.
Du rêve, certes, mais trop émietté dans le temps, trop confus. Retour à la vaillance et au grand lyrisme avec le si brillant Finale où, curieusement, la main droite semble manquer non de son, mais de poids, par rapport à une main gauche omniprésente. Mais quelle habileté digitale démentielle, le piano rejoignant presque le jeu d'un violon dans la fluidité ! Beaucoup de beaux moments donc, mais aussi un manque de vision d'ensemble et d'unité dans l'approche tant stylistique que sensible de l'oeuvre.
En deuxième partie, retour au rêve à l'état pur avec de remarquables Scènes d'enfants de Schumann, substituées en dernière minute aux Kreisleriana annoncées. Et si Lang Lang était encore plus poète que virtuose ? Car sa vision de ces très difficiles pages est vraie, belle, et bien complète dans la diversité d'humeurs et de couleurs requise. On avouera que ça n'était pourtant pas là qu'on attendait le plus Lang Lang, alors que c‘est finalement peut-être là qu'on l'a vraiment trouvé, ou tout au moins que l'on a pu voir ce qu'il pouvait ajouter à son approche technique extraordinaire.
Les Rachmaninov qui suivent sont décevants, avec un 3e prélude trop bousculé, plus brouillon que brillant – qui oublierait le somptueux éclat d'un Luganski dans cette même oeuvre ? – et un 5e prélude aux options mal définies, entre de soudains élans ou ralentis de toute beauté et toujours un abus de la pédale.
Sonnet de Pétrarque idéal et rhapsodie clinquante
Liszt arrive alors en point final, avec d'abord le célèbre 104e sonnet de Pétrarque, abordé dans un climat sonore et intellectuel quasi idéal et, ensuite, la 2e Rhapsodie hongroise, en contraste total. Bien sûr, la pièce est un peu extérieure, fondée sur des rythmes et des effets sonores tziganes, mais elle perd beaucoup de son intérêt à n'être traitée que sous cet angle purement virtuose et clinquant. On peut y apporter autre chose que cette avalanche ahurissante de notes qui fait hurler d'enthousiasme la salle. Ne voir dans cette musique que ses scintillements pyrotechniques est réducteur, même si l'on reste cloué dans son fauteuil par une telle habileté digitale.
Bref, de ce récital un peu désordonné mais attachant, on retiendra surtout l'évidence d'un magnifique tempérament de musicien, finalement plus convaincant dans l'évasion poétique et une certaine intériorité que dans les démonstrations purement virtuoses, aussi exceptionnelles soient-elles, qui assurent le succès public.
On retiendra aussi ce très inattendu bis joué en duo avec son père qui sortait une musique magnifique d'une drôle d'instrument à cordes traditionnel chinois. De beaux instants très représentatifs de la chaleureuse personnalité du jeune virtuose et du type de rapport qu'il sait établir avec son auditoire. On est en droit d'attendre beaucoup d'une pareille nature à l'avenir.
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Théatre du Châtelet, Paris Le 21/06/2006 Gérard MANNONI |
| Récital du pianiste Lang Lang au Théâtre du Châtelet, Paris, dans le cadre de Piano****. | Mozart–Chopin–Schumann–Rachmaninov–Liszt
Lang Lang, piano | |
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