Ce devait être l'événement opératique de cette fin de saison parisienne, et si le plateau a en effet occasionné quelques incarnations anthologiques, le principal moteur de Fidelio, l'orchestre, aura quelque peu gâché la fête. Après avoir été capable de tenir des Wagner complets sous l'ère Janowski, comment le Philharmonique de Radio France a-t-il pu baisser de niveau à ce point ?
Car l'orchestre sonne mat, plat et étriqué – les cordes –, sans relief ni couleurs – les vents –, et affiche surtout des insuffisances de mise en place et d'intonation absolument effrayantes – l'entrée du premier duo, tout en cafouillage ; le choeur des prisonniers, grand n'importe quoi rythmique. Et que dire de ces cors échoués, qui auront ce soir canardé presque systématiquement leurs entrées dans l'accompagnement du Komm Hoffnung de Leonore ?
Des défaillances qui s'expliquent largement par la direction calamiteuse de Wyung-Whun Chung : absence d'une quelconque trajectoire dramatique, de la moindre vision d'ensemble, accompagnement des airs en pilotage automatique, tendance à l'excès – entre airs bâclés et lenteurs lénifiantes, dépourvues de climat. Il n'était dans ce cadre guère judicieux d'insérer une ouverture Leonore III ahanée, transformée en un pénible tunnel de quinze minutes.
Une Leonore incendiaire
Il fallait donc tout le génie d'un trio vocal de choc pour faire descendre le calice. Karita Mattila, dont Leonore est l'une des réussites majeures en scène, délivre une fois de plus un chant incendiaire, sciemment au bord du gouffre sans jamais y verser, avec ces feulements, cette présence féline à la Martha Mödl, et l'ardeur de graves admirablement poitrinés qui lui valent une véritable ovation.
Nettement plus placide mais d'une facilité qui force l'admiration, Ben Heppner semble se jouer des inhumaines embûches vocales de Florestan. Émission lumineuse, parfaitement canalisée, châtiée quand nécessaire, sporadiquement héroïque – le dernier ensemble –, le Canadien fait feu de tout bois dans cet emploi indistribuable. Quant à Matti Salminen, son imposante carcasse et sa voix tout aussi immense sont toujours au service d'un Rocco plein d'humanité, de bonté, dans un chant d'une rare plénitude. Un tour de force à un âge vénérable où tant de chanteurs n'affichent plus que grisaille.
On passera nettement plus vite sur le Pizarro aux évidents moyens mais souvent histrion de Juha Uusitalo, dont l'émission très dans le masque manque de toute façon de corps, sur le Fernando tout tubé et d'épaules bien chétives du jeune François Lis, tout comme sur un couple Marzelline-Jaquino gentiment anecdotique, pour ne retenir au final que la présence de ces trois bêtes de chant qui ont pour nom Mattila, Heppner et Salminen.
| | |