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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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IIe acte de Tristan et Isolde de Wagner en version de concert sous la direction de Kurt Masur au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
La naissance d'un grand roi
Georg Zeppenfeld
Bilan mitigé pour ce Tristan fragmentaire du Théâtre des Champs-Élysées, entre un Kurt Masur inégal, une Isolde décevante et un Tristan malade. Mais une soirée dont on n'oubliera pas quelques moments bouleversants, parmi lesquels des appels de Brangäne hypnotiques et surtout un monologue du roi Marke parmi les plus beaux qu'on ait entendus.
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Dans cette synthèse de Tristan en tout juste deux heures, la direction de Kurt Masur, péchant souvent par manque de précision rythmique, se fait symptomatique d'une certaine tradition germanique ne datant pas d'hier, qui vise l'unité par un rencentrage des tempi – retenue des épisodes rapides, avancée des passages lents. On y gagne une forme de fluidité et d'arche, mais on y perd en immédiateté, en drame – prélude et conclusion du II, moments d'exaltation du duo, arrivée de Marke, apogée de la Mort d'Isolde, tous frustrants par leur placidité.
Cela dit, le chef allemand semble privilégier dès le départ une vision intérieure, désillusionnée, comme abattue, qui chante parfois son désespoir à l'orchestre avec une vraie intensité. Avec aussi de curieuses accélérations dans la Liebestod, et surtout cette conclusion qui, par précipitation, occulte presque entre les deux derniers accords la fusion des deux hautbois symbolisant l'union des amants dans l'éternité, moment pourtant sublime entre tous.
Le National alterne lui aussi beauté des cordes – prélude du I, du III – et inégalités chez les bois, avec en premier lieu un cor anglais terriblement prosaïque, beaucoup trop présent et dont le lyrisme exacerbé, le vibrato et le grave outranciers sont un absolu contresens dans la mélopée désertique du pâtre, lointaine musique de scène où filtrent la solitude et le désespoir d'un Tristan à l'agonie.
Une Isolde presque indifférente au mot
Au niveau du plateau, la principale déception vient de l'Isolde solide mais si peu touchante de Deborah Voigt. Voix colossale d'ampleur, d'éventail dynamique mais presque indifférente au mot, l'Américaine souffre d'une émission souvent pointue et dure, d'une qualité de timbre peu soignée et d'un bas-médium manquant de chair, véritable problème pour Isolde. On ne s'attardera pas sur le Tristan « victime d'une très forte laryngite » d'Endrik Wottrich, habitué de Bayreuth qui sauve ce soir les meubles du mieux qu'il peut, en marquant les moments les plus périlleux du duo, laissant lutter presque seule contre l'orchestre une Isolde qui a de la voix pour deux.
Plus en situation, la Brangäne légère, très soprano, d'Iris Vermillion, un peu juste de projection et d'ampleur dans le duo inital avec sa maîtresse, délivre du premier balcon à jardin un chant d'aube raréfié et crépusculaire, quasi hypnotique malgré une longueur de souffle réduite. Aussi bouleversant, le monologue du roi Marke, déclamé comme du Lied mais sans une once de maniérisme par le jeune Georg Zeppenfeld avec une intériorité, des nuances, un legato, un allemand, une égalité dans le timbre et les registres proprement miraculeux.
Et comme à ce moment, la direction de Masur gagne un caractère de récitatif on ne peut plus approprié, admirablement relayé par une clarinette basse de toute beauté, la magie opère en plein. Il était temps en tout cas que l'on découvre de ce côté-ci du Rhin cette voix somptueuse qui fait les belles heures de la Staatsoper de Dresde, mais aussi de Salzbourg.
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