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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Version de concert de Rodelinda de Haendel sous la direction de Paul McCreesh au festival de Beaune 2006.
Rodelinda abbandonata
Karina Gauvin
Le miracle de l'Alcina d'ouverture du précédent Festival de Beaune, transcendée par un quatuor vocal de rêve, ne se sera donc pas reproduit dans Rodelinda, décharnée par le geste décidément étranger à la sensualité haendélienne de Paul McCreesh. L'astre de l'envoûtante Karina Gauvin, seule rescapée au milieu d'un désert belcantiste, n'en aura brillé qu'avec plus d'éclat.
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De février 1724 à février 1725, la Royal Academy of Music de Haendel, installée au King's Theatre de Haymarket, connut sa période la plus faste. Francesca Cuzzoni régnait en effet sur la scène londonienne en prima donna assoluta pour quelques mois encore, et se vit offrir coup sur coup ses trois plus beaux rôles, Cléopâtre de Giulio Cesare, Asteria de Tamerlano et surtout le rôle-titre de Rodelinda, sans doute le plus humain, car épouse et mère, avant que d'être reine.
Aujourd'hui insurpassable, et de ce fait trop peu employée – grâce soit rendue à Anne Blanchard, directrice artistique du Festival de Beaune, de sa fidélité –, dans les emplois de grand soprano haendélien, Karina Gauvin offre pour sa prise de rôle une authentique leçon de bel canto.
Timbre pulpeux et clair, trille miraculeux, attaques franches mais toujours sensuelles, ornementation inventive mais jamais pléonastique, ce sont les plus rares vertus de la Cuzzoni, consignées par Charles Burney d'après le témoignage du flûtiste et théoricien Johann Joachim Quantz, que ressuscite la soprano québécoise. Et de ce chant nourri du legato le plus pur naît l'expression la plus juste et la plus intense, des plus infimes variations du vibrato à ces couleurs si savamment dosées qui, au-delà de l'art, sont les signes les plus subtils de la mise à nu de l'âme.
Malheureusement, Karina Gauvin, merveilleusement entourée dans l'Alcina d'ouverture de la précédente édition du festival, prêche ici dans le désert. Exceptons tout de même Paul Agnew qui, à force d'intelligence dramatique et musicale, triomphe d'un timbre de plus en plus mat et d'une couleur bien peu italienne dans un rôle composé pour Francesco Borosini, qui par ses dons phénoménaux participa à redorer le blason d'une voix de ténor occultée par la suprématie des castrats depuis près d'une siècle.
Haendel n'en offrit pas moins au fidèle – et parfois caractériel – Senesino un rôle à la hauteur de son prestige et de ses qualités expressives sans égales. La première scène de Bertarido, couronnée par l'étreignant Dove sei, amato bene ?, est à cet égard l'une des plus simplement bouleversantes jamais imaginées par le caro sassone. Le contre-ténor Daniel Taylor n'y répond que par un timbre livide et une placidité rythmique indéfendable, que ne peuvent compenser quelques sursauts de vivacité dans les pages les plus virtuoses, où sa voix retrouve une certaine assise dans des aigus insolents, mais un rien forcés.
Ses tentatives d'allègement au détour d'un ou deux récitatifs se révélant particulièrement infructueuses, Alan Ewing se contente de rugir le traître Garibaldo d'une voix tonitruante, quand le rôle exige davantage d'ambiguïtés et d'ironie perverse. Enfin, l'Eduige de Caitlin Hulcup et l'Unulfo d'Anne Burford se débattent comme elles peuvent dans des vocalités qui les condamnent à écraser des voix non sans qualités, mais insensibles aux courbes haendéliennes.
Il est vrai que la direction corsetée de Paul McCreesh, définitivement étranger au théâtre, interdit aux phrasés de s'épanouir, et pour tout dire de chanter. D'autant que l'effectif rachitique de ses Gabrieli Consort and Players agit comme une loupe sur la moindre défaillance – et nombreuses elles sont, dans l'acoustique de la cour des Hospices qui, de surcroît, ne pardonne rien.
L'astre éclatant de sensualité de Karina Gauvin, à contre-courant de ce Haendel sec et avare de couleurs, n'en aura donc eu que plus de mérite à briller sur une soirée à laquelle aura manqué, outre l'italianità indissociable de l'opera seria, même londonien, cette morbidezza crépusculaire qui est l'essence même de Rodelinda, jusque dans le sublime duo Io t'abraccio où, faute de Bertarido, la soprano québécoise aura dialogué avec les étoiles.
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