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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise du Così fan tutte de Mozart mis en scène par Ursel et Karl-Ernst Herrmann sous la direction de Manfred Honeck au festival de Salzbourg 2006.
Salzbourg 2006 (6) :
La chair est triste
Shawn Mathey (Ferrando), Sophie Koch (Dorabella), Ana MarĂa MartĂnez (Fiordiligi) et StĂ©phane Degout (Guglielmo).
Cela n'est pas nouveau, la chair est triste. La chair comme recherche du plaisir – l'amour, n'en parlons pas –, la chair des acteurs aussi, et même la chair de la matière orchestrale. C'est ainsi une leçon de mélancolie que donne cette reprise essoufflée du Così faussement gracieux des époux Herrmann à Salzbourg.
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Qu'on ne s'y trompe pas : même si la farce est enlevée, même si la fantastique Despina d'Helen Donath ébaudit l'assistance, si le Don Alfonso manipulateur de Thomas Allen fait virevolter tout son petit monde, si Sophie Koch est impayable en Dorabella gamine et ingénue, même si la très belle scénographie des Herrmann évoque Watteau avec un petit quelque chose d'un jardin zen, il ne faut pas oublier la morale de l'histoire : puisque les filles ont ici découvert dès le début le plan d'Alfonso, il n'y a plus de méprise possible, et ce n'est pas par aveuglement qu'elles basculent dans l'infidélité, ni certes par amour, comme le montre l'amertume générale du dénouement où n'affleure nul espoir de recouvrer la paix en échangeant les couples, issue suggérée par maint metteur en scène.
Il ne s'agit ici que de mécanique : le séducteur emporte la donne s'il respecte les étapes – déclaration, emphase, exhibition, menaces, chantage, jusqu'au harcèlement en ce qui concerne le plus rêveur de nos messieurs, Ferrando – et les personnes n'importent plus. Beethoven trouvait l'ouvrage immoral : à plus forte raison si l'on veut bien envisager l'interchangeabilité des personnages dans une ronde où n'importe qui fait l'affaire des sentiments.
Dans cette histoire à la Marivaux, où derrière le jeu se cachent blessures, désillusions, et une certaine lucidité sur la vanité de la condition humaine, ou du moins des passions, la mise en scène a le bon goût de rester légère et souriante, et de ne pas enfoncer le clou. Mais par rapport à l'été 2004, cette reprise nous semble contaminée par quelque morosité tant au plateau que dans la fosse.
Manfred Honeck ne dirige-t-il pas pourtant avec un soin, une finesse, une légèreté viennoise, un souci de ne pas couvrir les chanteurs tout à fait dignes de Philippe Jordan ? Les Wiener Philharmoniker ne prodiguent-ils pas de superbes moments de grâce ineffable – Di scirvermi ogni giorno ; Soave sia il vento ; E nel tuo, nel mio bicchiero – ? Pourtant la joie, l'effronterie, l'humour semblent taris dans les passages plus vifs, dans la vaillance des attaques, dans la discrétion des bois, et dans une légèreté toujours élégante mais un rien résignée. Le continuo de Rachel Andrist accompagne à merveille le plateau dans un tourbillon dépourvu d'urgence, comme si toute la pièce était une rêverie, un souvenir.
Un espace problématique
Les chanteurs évoluent sur ce tapis mélancolique et dans l'espace toujours problématique du Grosses Festspielhaus, souvent trop démesurément vide quant au visuel, et acoustiquement impitoyable au moindre déplacement. Si les deux roués de l'histoire ont tout l'abattage requis à défaut de moyens intacts, il faut reconnaître que Thomas Allen a encore un beau métal dans la pleine voix et une présence inquiétante de jongleur d'âmes, Helen Donath offrant de son côté les moments les plus uniment drôles de la soirée, avec beaucoup d'humour et une émission encore fringante sinon délicate.
Les amoureux sont plus disparates : Ana MarĂa MartĂnez ne brille pas par l'Ă©galitĂ© de sa voix, et n'est pas la Fiordiligi la plus passionnante, ni sur les planches ni de vocalitĂ©. Elle prodigue cependant de beaux moments, notamment au II, avec un timbre un peu fĂ©brile, un vibrato rapide et une virtuositĂ© prĂ©cise qui font plus penser Ă Rossini qu'aux dĂ©licatesses contenues de Mozart. C'est pourtant dans Per pietĂ , ben mio, perdona qu'elle convainc le plus. Sophie Koch est tout le contraire : espiègle en scène et de chant incendiaire, nourrissant Dorabella de l'enthousiasme de son Octavian. C'est un peu beaucoup, mais pourquoi pas ? D'autant que le personnage est vraiment lĂ et que la voix a toujours de la personnalitĂ©.
Stéphane Degout est toujours un bon Guglielmo, en voix, sans histoires, pas transcendant mais au moins d'une belle énergie. Enfin, en dépit de nasalités un peu appuyées et d'une demi-teinte trop éloignée de la pleine voix, Shawn Mathey incarne un Ferrando nostalgique et sensible, qui suit avec Fiordiligi le chemin de la douleur amoureuse, de l'expérience qui change les amants. L'innocence est morte ; la chair est triste.
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