Une pianiste, une comédienne et un baryton : un effectif minimal pour un résultat optimal. L'argument est simple : un jeune homme découvre l'amour pour une femme autre que celle qu'il devait épouser. Tourments, remords, destinée, initiation, tous les grands thèmes du romantisme sont présents, tant dans les Lieder de Brahms que dans le récit épique et médiéval de Thieck.

Nicole Aubry, Ă  qui l'on doit une mise en scène très Ă©purĂ©e, a complètement rĂ©Ă©crit le texte. « J'ai entendu pour la première fois la Belle Maguelone il y a neuf ans, avec les mĂŞmes interprètes, et il y avait un fossĂ© entre des Lieder très forts sur le plan musical et Ă©motionnel et un rĂ©cit qui faisait vraiment figure de parent pauvre. Toute la difficultĂ© a Ă©tĂ© de trouer une unitĂ©, de contrebalancer ce dĂ©calage de façon Ă  ce que le rĂ©cit prenne de l'importance et que l'on n'ait pas l'impression d'alterner rĂ©cit et Lieder Â» raconte-t-elle.

Le texte de Thieck a donc Ă©tĂ© complètement rĂ©Ă©crit. « Il n'y a plus une seule phrase de Thieck. J'ai conservĂ© bien sĂ»r tous les thèmes, mais j'ai axĂ© l'histoire sur le parcours initiatique du jeune homme Â». Pour le chanteur Vincent Texier, le dĂ©fi a Ă©tĂ© de théâtraliser son jeu. « Il est Ă©vident que je n'aurais pas chantĂ© ces Lieder de la mĂŞme façon en rĂ©cital salle Gaveau ! Â» dit-il ironiquement. « Il y a dans ces Lieder une dimension vĂ©riste qui se prĂŞte au jeu du théâtre et passer du chanteur au comĂ©dien est un exercice de jonglage fascinant Â».

Car il alterne chant et paroles avec la comĂ©dienne Rona Hatner, qui elle-mĂŞme a ce double rĂ´le de comĂ©dienne et rĂ©citante. Tout s'imbrique et au final, nous voici face Ă  du théâtre chantĂ©. Le jeu des deux protagonistes est fluide, l'histoire fait le lien entre la comĂ©die, le chant et le rĂ©cit. Et la mise en scène marie de façon extraordinaire le tragique et l'humour. « Il y a certaines scènes du texte que j'ai traitĂ©es en saynètes pour donner plus de lĂ©gèretĂ© et de piquant Â» explique Nicole Aubry. Et le rĂ©sultat est lĂ  : chaque pointe d'humour de Thieck jouĂ©e en saynète prend tout de suite une autre dimension et redonne de l'Ă©lan au texte.

Quant Ă  la mise en scène, on se doit de fĂ©liciter le talent d'une femme de théâtre qui a travaillĂ© vingt ans avec Peter brook. « Il m'a appris Ă  toujours tirer l'essentiel d'une pièce. Non pas Ă  mettre en scène un texte mais Ă  mettre en exergue, Ă  rĂ©vĂ©ler le sens intrinsèque de l'oeuvre Â» confie-t-elle. Un banc et une toile blanche sur laquelle Rona Hartner peint en gris un arbre dont chaque branche pourrait ĂŞtre un chemin initiatique vers le haut : cela suffit Ă  mettre en valeur cette intimitĂ© du Lied et Ă  donner du relief au parcours initiatique du jeune homme. L'Âśil n'est pas distrait par le dĂ©cor et toute l'Ă©coute se concentre sur cette tension entre le comte Pierre et la belle Maguelone.

Quand de surcroît, la pianiste Susan Manoff enveloppe cette pièce et donne bien davantage l'impression de la mettre en scène musicalement plutôt que de simplement la jouer, toutes les conditions sont réunies pour donner à Brahms un genre nouveau. D'autant que le lieu où prend vie ce spectacle est unique. Nous sommes dans la ferme de Villefavard, une vieille ferme du Limousin, et la scène se joue dans l'ancien stock à blé. Une salle d'une hauteur de trois étages sous plafond, en bois et en pierre. Un décor à elle seule que l'on doit à son propriétaire, le directeur artistique et chef d'orchestre Jérôme Kaltenbach.