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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concert du Mahler Chamber Orchestra sous la direction de Daniel Harding, avec la participation du flûtiste Emmanuel Pahud au festival de Lucerne 2006.
Lucerne 2006 (2) :
Le souffle de la vie
Pour ce deuxième grand concert symphonique du festival de Lucerne 2006, Daniel Harding dynamise le Mahler Chamber Orchestra dans une 9e de Schubert dont il se contente parfois d'approcher les célestes longueurs dont parlait Schumann. Étincelant de virtuosité, Emmanuel Pahud transcende la création de Transir de Matthias Pintscher, unanimement acclamée.
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Konzertsaal, Kultur- und Kongresszentrum, Luzern
Le 13/08/2006
Michel LE NAOUR
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Très contesté à Aix-en-Provence dans la Flûte enchantée pour sa précipitation en fosse, Daniel Harding se montre sous un jour meilleur dans ce concert symphonique lucernois. En ouverture, la transformation réalisée par Anton Webern du Ricercare à six de l'Offrande musicale de Bach séduit par la vigueur analytique de l'approche, la précision sans failles, la souplesse de l'articulation, l'austérité lyrique, mais ne se prête pas à l'opulence. Les instrumentistes du Mahler Chamber Orchestra, ensemble dont Harding a assuré la direction musicale de 2003 à 2004 paraissent très concentrés et répondent aux intentions du chef en se distinguant dans ce remake traité à l'aune du sérialisme.
Transir du compositeur allemand Matthias Pintscher convient parfaitement au thème du festival de Lucerne 2006 centré sur la parole (Sprache) dans une problématique straussienne – celle de Capriccio – où l'on débat de la prééminence du texte ou de la musique. En effet, la partition commandée par Betty Freeman pour le festival est une démonstration tout à fait suggestive de l'art du souffle qui se fait parole dans la magistrale exécution du flûtiste franco-suisse Emmanuel Pahud dont on sait qu'il occupe le poste soliste de l'Orchestre Philharmonique de Berlin.
Par Transir, Pintscher entend un état transitoire qui prévaut à d'autres états. Pour rendre cet avatar – au sens étymologique de métamorphose ou de transformation –, le compositeur dans une pièce d'une trentaine de minutes convie toutes les possibilités dont est capable la flûte – exhalaison, respiration, vibration, glissandi. L'instrument soliste devient souffle cosmique et humain à l'image de la craie redevenue falaise comme l'imagine Prévert dans Paroles.
Deux cadences virtuoses entrecoupées de tutti d'une liquidité minérale mais aussi de chocs de blocs sonores, de glissements de cordes, d'agrégats percussifs et de kaléidoscopes de timbres, se résolvent en une musique des sphères dont Pahud devient partie intégrante tant la fusion qu'il opère est suggestive. L'oeuvre, d'une belle unité spatio-temporelle est aussi, grâce à la gestuelle très visuelle du soliste, en osmose avec celle du chef, d'un effet immédiat qui frappe autant l'oreille que les sens.
Dans la Symphonie en ut de Schubert, l'élan semble l'emporter sur une conception plus profonde, celle d'un romantisme mystérieux par les chefs germaniques – Furtwängler, Sawallich. Nulle tendance non plus à tirer la partition vers la pulsation viennoise et la rêverie éveillée – Walter, Krips –, mais plutôt une urgence, un élan vital qui pousse sans cesse en avant le discours. Pour preuve, le tempo allant et plus élégant que tendu de l'Andante con moto dont Schumann, en redécouvrant l'oeuvre, déclarait : « on dirait que cela nous arrive d'une autre sphère [
] comme si quelque hôte céleste rôdait à travers l'orchestre ».
Ivresse jubilatoire
La mise en place est superbe et chaque instrumentiste se plie aux injonctions de Harding qui dirige à mains nues dans une chorégraphie très explicite. L'engagement, la douceur nostalgique – le Ländler central du Scherzo –, l'hymne à la création – proche de la 9e de Beethoven – de l'Allegro vivace final imposent une conception impressionnante par son ivresse jubilatoire, bien servie par une phalange que le maestro sait mettre en valeur avec la maîtrise de sa jeune expérience déjà confirmée – appel des cors dans l'Andante initial, équilibre entre cordes et vents dans le Scherzo, clarinette dans le Finale.
Triomphe mérité pour ce chant de victoire qui termine en majesté cette partition qui ne peut susciter qu'enthousiasme d'un public venu nombreux et séduit par le charisme et le charme du chef britannique. En dépit des qualités de cette interprétation vigoureuse et exaltée, on préfèrera cependant le romantisme intérieur et la noblesse souveraine qui président aux versions de référence.
Toutefois, à Lucerne, le ciel stellaire de la magnifique salle de concert due à Jean Nouvel s'est nourri de toute la dimension musicale dont ce concert était porteur. Le cru 2006 est à marquer d'une pierre blanche avec un plateau où se succèdent sans discontinuer les meilleures phalanges et les chefs de renom – Abbado, Boulez, Masur, Jansons, Chailly, Harnoncourt, Gielen, Tilson Thomas. La mariée n'est pas trop belle quand les membres de l'Orchestre du Festival se réunissent pour le meilleur de la musique de chambre.
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Konzertsaal, Kultur- und Kongresszentrum, Luzern Le 13/08/2006 Michel LE NAOUR |
| Concert du Mahler Chamber Orchestra sous la direction de Daniel Harding, avec la participation du flûtiste Emmanuel Pahud au festival de Lucerne 2006. | Johann-Sebastian Bach (1685-1750)
Ricercare Ă six voix de l'Offrande musicale
Version orchestrale d'Anton Webern (1935)
Matthias Pintscher (*1971)
Transir, pour flûte et orchestre de chambre
Création mondiale
Emmanuel Pahud, flûte
Franz Schubert (1797-1828)
Symphonie n° 9 en ut majeur D. 944, « la Grande » (1826)
Mahler Chamber Orchestra
direction : Daniel Harding | |
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