Plus que jamais, le premier concert de l'Orchestre Philharmonique de Radio France, salle Pleyel, aura répondu à la morale de la fable d'Ésope reprise par La Fontaine. En effet, à l'écoute de la première partie du concert, on reste dubitatif sur la capacité de Myung-Whun Chung à s'installer dans la progression dynamique d'un Boléro au tempo changeant, qui accélère sans véritable raison avant le climax final, ainsi que sur sa conception globale de la Valse, qui se débat constamment à la recherche d'une unité et d'une sensualité si présente pourtant dans la tradition de la musique française – celle des Munch, Monteux, Ansermet, Rosenthal, Martinon, Plasson, Boulez.

Dans Tzigane, la finesse du violon de Svetlin Roussev – konzertmeister de l'orchestre – semble se perdre dans les cintres du second balcon et l'on ne reconnaît pas toujours cette aisance libérée, cette vélocité si naturelle qui lui sont familières tant son jeu parfait mais assez défensif ne laisse pas s'exprimer tout l'engagement rhapsodique et la vivacité de cette page faussement folklorique où Ravel, non sans perversité, a voulu dépasser les limites techniques de l'instrument. Peut-être le soliste était-il tétanisé face à l'enjeu, ou gêné par la direction bruyante et sans verve de Chung ?

Une impression bouleversée après l'entracte par une lecture convaincante de la version complète du ballet Daphnis et Chloé, d'une belle tenue d'ensemble dans laquelle Choeur et Orchestre de Radio France s'ébrouent avec magnificence. La dimension solaire et puissamment colorée où les volutes sensuelles de l'alchimie ravélienne se font plus drues que souples s'affirme haut et fort.

Splendeur et narration

L'intervention des choeurs au lever du jour, l'agilité faunesque de la flûte virtuose de Magali Mosnier, la force plus dionysiaque qu'apollinienne de la bacchanale aux timbres étincelants si proches de la Shéhérazade de Rimski-Korsakov ou de l'Oiseau de feu de Stravinski, bien que marquées par la signature harmonique de Ravel, atteignent au fur et à mesure des épisodes décrivant les amours panthéistes du berger Daphnis et de son amante Chloé, une splendeur impressionnante sans que le sens narratif soit sacrifié.

Le caractère de pur classicisme, le merveilleux raffinement du langage symphonique, l'élégance à fleur de peau n'échappent pas à ce déferlement instrumental où la libération des puissances de la jeunesse l'emporte toutefois sur les aspects dramatiques. L'acoustique de la salle Pleyel semble convenir comme un gant à cette vision très analytique qui définit avec beaucoup de précision, de netteté, de limpidité chaque modelé, chaque délié instrumental, à l'image de ce que le fakir Ravel aurait pu souhaiter.

Décidément, comme l'écrivait Ésope à propos de la langue, l'interprétation de la musique peut être la meilleure ou la pire des choses !