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CRITIQUES DE CONCERTS 21 décembre 2024

Nouvelle production de la Femme sans ombre de Strauss mise en scène par Nicolas Joel et sous la direction de Pinchas Steinberg au Théâtre national du Capitole de Toulouse.

Nulle ombre sur la Femme
© Patrice Nin

Doris Soffel (la Nourrice)

C'est un véritable tour de force que vient d'accomplir Nicolas Joel à Toulouse en programmant une Femme sans ombre de rêve, comme on n'en avait plus entendu depuis Solti à Salzbourg. Un plateau d'une homogénéité et d'une qualité absolues, une direction fuyante et électrique, une mise en scène classique et efficace, bref, le choc lyrique de la rentrée 2006.
 

Théâtre du Capitole, Toulouse
Le 12/10/2006
Yannick MILLON
 



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  • Directeur du Théâtre du Capitole de Toulouse depuis 1990 et possible successeur de Gerard Mortier Ă  la tĂŞte de l'OpĂ©ra de Paris, Nicolas Joel est bien connu pour une qualitĂ© aujourd'hui rarissime : ne programmer un opĂ©ra qu'Ă  condition d'avoir rĂ©uni les voix adĂ©quates. Ă€ l'heure du tout visuel, des chanteurs frĂ©quemment surdistribuĂ©s, ce bon sens Ă©lĂ©mentaire mĂ©riterait une remise au goĂ»t du jour. Pour preuve, cette Femme sans ombre toulousaine bĂ©nĂ©ficie d'un plateau digne de Salzbourg ou de la Staatsoper de Vienne.

    Pourtant éclipsé à l'applaudimètre par un trio féminin de choc, Robert Dean Smith trône tout en haut de la distribution, Empereur absolument idéal, d'un lyrisme aristocratique, d'une beauté de timbre, d'une radiance à même d'égaler ses immenses prédécesseurs – on songe souvent à James King, dont il a retenu la couleur de l'aigu, la clarté des voyelles, la qualité de l'allemand.

    De même, quand une interprète a marqué un rôle comme Rysanek l'Impératrice, on ne peut qu'acclamer la performance de Ricarda Merbeth, qui, si elle privilégie une émission directe sans les tremplins, les glissés génialement expressifs de la regrettée Autrichienne, n'en impose pas moins un chant éblouissant de santé, de précision dans les coloratures, d'assurance dans l'aigu.

    © Patrice Nin

    Autre incarnation majeure, la Nourrice expressionniste de Doris Soffel, dont les consonnes marquées, les graves poitrinés avec une énergie morbide, l'aigu phénoménal ne craignent aucune déflagration de l'orchestre – le sib halluciné de la fin du II, projeté avec une jubilation sadique, tenu bien au-delà de sa durée écrite, qui déclenche avant même la conclusion orchestrale un tonnerre d'acclamations, destinées également à la Femme de Barak époustouflante de Janice Baird.

    Nous nous sommes déjà étendu sur les qualités hors du commun de l'Américaine, digne héritière de ses professeurs Birgit Nilsson et Astrid Varnay, voix dramatique comme il n'en est plus aujourd'hui. Là encore, le timbre un peu dur, l'émission percutante, les interventions musclées, dardées en toute facilité conviennent parfaitement à la frigidité de la Teinturière.

    Au milieu de pareilles furies, Andrew Schroeder se fait un peu oublier, Barak trop falot – une voix un rien grise, sourde sur le haut de la tessiture, mais une demi-teinte plus châtiée que chez d'autres – que vient aussi contrarier le Messager des esprits incroyablement sonore, au métal somptueux – nach dem Gesetz – de Samuel Youn.

    Une direction à la pointe sèche

    Dans la fosse, Pinchas Steinberg défend un Strauss allégé, souvent électrique et fuyant – le vol vers la terre –, avec quelques emportements traduits à merveille par un Orchestre du Capitole en forme olympique : nuancé, d'une précision diabolique dans les mixtures de bois de l'évocation de la fauconnerie, transparent jusque dans les passages les plus chargés. Une direction à la pointe sèche, rapide et sans concession, qui ne s'alanguit jamais mais laisse toujours chanter les très belles cordes de la formation toulousaine.

    La mise en scène classique de Nicolas Joel a pour mérite premier de ne jamais perturber l'extase musicale, en ne retenant que l'essentiel du livret d'Hofmannsthal, sans y plaquer une quelconque relecture. Les décors d'Ezio Frigerio permettent un efficace aller-retour entre le monde des esprits et celui des humains, campés respectivement par une terrasse en escaliers aux teintes Jugendstil et le cloaque sordide d'un collecteur d'égouts. Mais ce soir, le théâtre aura lieu essentiellement dans les gosiers des chanteurs et la baguette du chef.

    Cela faisait tellement longtemps que Strauss n'avait pas été servi par des interprètes aussi royaux qu'on estimera que l'ancienne prépondérance de la partie musicale à l'opéra conserve de nos jours une vraie légitimité.




    Diffusion sur France Musique le 28 octobre Ă  19h.




    Théâtre du Capitole, Toulouse
    Le 12/10/2006
    Yannick MILLON

    Nouvelle production de la Femme sans ombre de Strauss mise en scène par Nicolas Joel et sous la direction de Pinchas Steinberg au Théâtre national du Capitole de Toulouse.
    Richard Strauss (1864-1949)
    Die Frau ohne Schatten, opéra en trois actes (1919)
    Livret de Hugo von Hofmannsthal

    Maîtrise, Choeurs et Orchestre national du Capitole
    direction : Pinchas Steinberg
    mise en scène : Nicolas Joel
    décors : Ezio Frigerio
    costumes : Franca Squarciapino
    Ă©clairages : Vincio Cheli

    Avec :
    Robert Dean Smith (Der Kaiser), Ricarda Merbeth (Die Kaiserin), Doris Soffel (Die Amme), Samuel Youn (Der Geisterbote), Silvia Weiss (Die Stimme des Falken / Ein Hüter der Schwelle des Tempels), Martin Mühle (Erscheinung eines Jünglings), Qiu Lin Zhang (Eine Stimme von oben), Andrew Schroeder (Barak), Janice Baird (Sein Weib), Hans-Peter Scheidegger (Der Einäugige), Gregory Reinhart (Der Einarmige), Ricardo Cassinelli (Der Bucklige), Gersende Dezitter (Erste Dienerin), Zena Baker (Zweite Dienerin), Elsa Maurus (Dritte Dienerin).

     


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