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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Récital du baryton Bryn Terfel accompagné par l'Orchestre national de France sous la direction de Yannick Nézet-Séguin à la salle Pleyel, Paris.
Triomphe d'une voix immense
Le cycle des Grandes voix ne pouvait débuter de manière plus adéquate. Premier d'une liste des plus alléchantes, Bryn Terfel, avec pour partenaire l'Orchestre national de France, est venu rappeler ce qu'est vraiment un grand chanteur. Ou l'étendue de l'art d'un monstre sacré à l'ancienne, expérience devenue très rare aujourd'hui.
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En des temps où l'on se contente si aisément de demi-mesures et où l'on porte aux nues ce qu'une promotion toute puissante a jugé à l'avance pour nous, il est vraiment rassérénant d'être confronté à un authentique chanteur d'exception. Bryn Terfel n'est pas une découverte. Il triomphe depuis une quinzaine d'années sur toutes les scènes du monde, avec de très rares apparitions à Paris – dans Don Giovanni et les Contes d'Hoffmann à la Bastille, et plus rien depuis cinq ans.
Et pourtant ! Ce colosse gallois est bien de la race des monstres sacrés, en dépit de son absolue simplicité. À 40 ans, il s'est déjà affirmé partout aussi bien dans les rôles les plus dramatiques que dans le registre des Falstaff ou Figaro. Le programme de ce récital est conçu comme le vaste panorama d'un répertoire sans limites, des grands Wagner à la comédie musicale américaine.
Pour évoquer ce qu'on entend salle Pleyel, il faut se résoudre à puiser à pleines mains dans la réserve à superlatifs, ce qui n'est pas une tâche si facile, surtout si l'on veut rester crédible. À ceux qui ont connu les brillantes années 1960-1980, on dira simplement que Terfel, avec sa propre et très forte personnalité, est de la race des Hans Hotter, George London, avec en plus un humour et un talent de comédien que ses plus illustres prédécesseurs ne possédaient pas.
Il aurait été le partenaire idéal des Varnay, Nilsson, Rysanek, Schwarzkopf, Callas et autres divinités de l'époque. Il appartient à cet univers, sans contredit. À ceux qui ont la chance d'être plus jeunes, mais la malchance de n'avoir jamais ni vu ni entendu ces authentiques superstars, disons qu'un concert comme celui-ci devrait leur ouvrir des horizons et leur servir de vrai critère de jugement.
Terfel a tout, au plus haut niveau. La voix est immense quand il le faut, minuscule quand nécessaire, sur toute la tessiture, avec une maîtrise absolue de toutes les nuances, de toutes les couleurs, de toutes les intensités. Le timbre est riche, musical, homogène. Mais tout cela, à la limite, ne serait rien sans cette formidable capacité à chanter les mots, le texte, l'expression de la musique, avec cette intensité, cette vérité, cet impact.
L'art d'entrer instantanément dans le personnage
C'est l'homme entier qui entre instantanément dans le personnage, dans les mots, dans le texte musical, comme les illustres aînés précités savaient le faire. Le visage, le regard, un geste du bras ou de la main, viennent compléter, soutenir, ce que la voix nous dit. C'est fulgurant, qu'il s'agisse d'un monologue du Hollandais du Vaisseau fantôme d'anthologie, ou de Falstaff ironisant sur la notion d'Onore, ou encore de la verve buffa de Leporello et de son catalogue.
S'il chante en bis la Sérénade de Don Giovanni, c'est dans la salle, une rose à la main, allant d'une dame à l'autre, serrant au passage la main du ministre de l'intérieur assis au premier rang et terminant à genoux devant une petite fille qui gardera précieusement la fleur qu'il lui offre.
Un peu cabotin ? Possible, mais il faut aussi pouvoir chanter cet air rythmiquement si difficile, sans voir le chef et en se souciant seulement du jeu inventé. Ensuite, s'il se lance, dans un français parfait, dans l'air d‘Escamillo de Carmen – enfin un toréador avec à la fois les graves et les aigus ! – c'est pour entraîner le public à chanter à sa place le refrain, ce qu'il fait d'ailleurs en masse, et pas si mal que cela ! Ce genre de démonstration n'est possible et magnifique, bien sûr, que si l'on s'est imposé avant de manière magistrale.
Exceptionnel, vraiment, car lorsqu'il aborde les pages de Rodgers ou de Leigh, c'est en vrai chanteur de Broadway, dans le style le plus adéquat et avec une voix qui n'est plus celle d'Hans Sachs ni du Hollandais. Que dire de plus, sinon réitérer les regrets que l'on a de le voir et de l'entendre si peu chez nous ?
Au pupitre d'un Orchestre national de France motivé jusqu'au tonitruant dans l'ampleur de Pleyel, le chef canadien Yannick Nézet-Séguin est un partenaire tout à fait à la hauteur. Une soirée en forme de triomphe pour une voix immense.
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Salle Pleyel, Paris Le 15/10/2006 Gérard MANNONI |
| Récital du baryton Bryn Terfel accompagné par l'Orchestre national de France sous la direction de Yannick Nézet-Séguin à la salle Pleyel, Paris. | Wagner, Mozart, Verdi, Bernstein, Rodgers, Leigh
Bryn Terfel, baryton-basse
Orchestre national de France
direction : Yannick Nézet-Séguin | |
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