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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production des Troyens de Berlioz mise en scène par Andreas Baesler et sous la direction de Michel Plasson à l'Opéra du Rhin, Strasbourg.
Les Troyens entre Verdun et Eva Peron
La prise de Troie
Et de deux en un mois: après la Bastille, revoici les Troyens mis en scène par Andreas Baesler à l'Opéra du Rhin. Si le metteur en scène, formé par Peter Mussbach et auteur d'une passionnante Lulu en 2005, est allemand, les chanteurs sont tous francophones, évidente supériorité de cette production sur celle de l'Opéra de Paris.
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Quand on dit que le français, depuis Lully du moins, n'est pas une langue musicale, la production strasbourgeoise des Troyens tend à prouver le contraire, et pourrait d'ailleurs se passer du surtitrage. Les chanteurs sont tous parfaitement compréhensibles, même Béatrice Uria-Monzon, qui fut si souvent critiquée par le passé pour une prononciation défectueuse – on se souvient de Nuits d'été du même Berlioz au Palais Garnier dont on ne comprenait pas un traître mot.
La diva, qui chante pour la première fois Didon, semble métamorphosée. Une prise de rôle qui pourrait ouvrir de nouveaux horizons à la meilleure Carmen du moment, que les directeurs d'opéras cantonnent dans ce personnage. Elle est une Didon d'une beauté absolue : dans une robe du soir en velours noir dégageant ses épaules, très star des années 1950, puis en robe rouge feu et ensuite drapée de blanc, elle offre une silhouette magnifique, une évidente stature de tragédienne.
Au pupitre, LE spécialiste de la musique française, Michel Plasson, se love dans les Troyens avec autant de rigueur que de romantisme. L'orage, le duo d'amour de Didon et Énée, la mort de la Carthaginoise sont autant de moments où la musique s'épanouit dans toute sa tension, sa sensualité et son frémissement. Mais si les choeurs sont d'une remarquable homogénéité, l'orchestre n'est pas du meilleur niveau, manquant de chair, d'épaisseur et surtout d'un sens du tragique guère soutenu par la mise en scène.
La Prise de Troie se déroule dans un bunker et des tranchées de la Grande guerre. Le metteur en scène a imaginé Verdun, parti pris qui se révèle rapidement incongru, avec ses masques à gaz en guise de fers de lance, et ses costumes déplacés : Panthée en aumônier de l'armée et Cassandre en tablier blanc orné d'une croix rouge d'infirmière.
Comment Cassandre, la prophétesse de tous les malheurs, qui conduit les Troyennes au suicide, peut-elle être celle qui d'habitude soigne les corps ? Elle revêt ensuite une robe noire de deuil, mais la magie est rompue malgré le talent de Sylvie Brunet qui laisse là une de ses plus belles et de ses plus profondes incarnations. Remarquable également l'Anna, soeur de Didon, de Marie-Nicole Lemieux, à la voix tellement somptueuse. Quant à Robert Chafin, ce solide gaillard paraît en ce soir de première mort de trac, et laisse un Énée à la voix qui bouge.
Entre la fuite des Troyens, leur errance sur les mers et leur arrivée à Carthage, il se passe certes du temps, mais sans doute pas autant que le bond suggéré par le metteur en scène dans des Troyens à Carthage transposés dans une espèce de dictature d'Amérique latine des années 1950, faisant de Didon une soeur d'Eva Peron, dont le palais ressemble, avec ses stores vénitiens parfois fluorescents, à une banale chambre d'hôtel Mercure.
Distraction, le poète Iopas est ici le rocker des rockers Elvis Presley, drôlement interprété par Éric Laporte. Au final, seul l'embrasement du lit de Didon devenu bûcher a une certaine originalité. Rien n'est vraiment laid dans tout cela mais il est difficile de déceler une ligne directrice chez Andreas Baesler, au-delà d'une succession d'idées parfois bonnes.
L'important, c'est que depuis quinze ans, les Troyens, opéra gigantesque, mal aimé comme tout l'oeuvre de Berlioz chez nous, s'acclimate peu à peu et trouve un nouveau public. La France commence, depuis l'inauguration de la Bastille avec la production de Pizzi, celle de Kokkos au Châtelet, celle de Wernicke à Bastille sans oublier la plus aboutie, celle de Caurier et Leiser en 1987 à Lyon, à découvrir l'importance des Troyens.
Berlioz disait : « Là où la musique finit, la barbarie commence », un message qui dépasse les Troyens et n'a jamais été autant d'actualité.
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Opéra du Rhin, Strasbourg Le 27/10/2006 Nicole DUAULT |
| Nouvelle production des Troyens de Berlioz mise en scène par Andreas Baesler et sous la direction de Michel Plasson à l'Opéra du Rhin, Strasbourg. | Hector Berlioz (1803-1969)
Les Troyens, grand opéra en cinq actes (1863)
Livret du compositeur d'après l'Énéide de Virgile
Coproduction avec le Musiktheater im Revier, Gelsenkirchen
Choeurs de l'Opéra national du Rhin
Orchestre philharmonique de Strasbourg
direction : Michel Plasson
mise en scène : Andreas Baesler
décors : Hermann Feuchter
costumes : Gabriele Heimann
Ă©clairages : Gerard Cleven
préparation des choeurs : Michel Capperon
Avec :
La prise de Troie
Sylvie Brunet (Cassandre), Valérie Gabail (Ascagne), Frédérique Létizia (Hécube), Robert Chafin (Énée), Lionel Lhote (Chorèbe), Cyril Rovery (Panthée), François Lis (le fantôme d'Hector), Jean-Philippe Emptaz (Priam), Raphaël Marbaud (un capitaine grec), Sébastien Droy (Hélénus), Vanessa Dupont (Andromaque).
Les Troyens Ă Carthage
Béatrice Uria-Monzon (Didon), Marie-Nicole Lemieux (Anna), Valérie Gabail (Ascagne), Robert Chafin (Énée), Éric Laporte (Iopas), Sébastien Droy (Hylas), François Lis (Narbal / le fantôme d'Hector), Cyril Rovery (Panthée / Mercure), Jean-Philippe Emptaz & Raphaël Marbaud (deux capitaines troyens). | |
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