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CRITIQUES DE CONCERTS 21 décembre 2024

Version de concert de Don Giovanni de Mozart sous la direction de René Jacobs à la salle Pleyel, Paris.

Le Don Giovanni du XXIe siècle
© Alvaro Yanez

D'autres ont ouvert la voie, mais aucun n'avait osé aller si loin : les mythes ont la peau dure. Plus radical que jamais, René Jacobs aborde la partition de Don Giovanni comme si Mozart venait de la lui remettre, faisant table rase de la tradition métaphysico-hoffmanienne. Sans conteste le sommet absolu de cette année Mozart.
 

Salle Pleyel, Paris
Le 29/10/2006
Mehdi MAHDAVI
 



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  • Là où tant de chefs, sans doute intimidés par le statut d'opéra absolu qu'a acquis, osons dire malgré lui, le Don Giovanni de Mozart, se sont contentés de s'aligner sur la tradition interprétative, ou, dans les meilleurs cas, de se frayer parmi les références du passé des voies originales, mais inabouties, René Jacobs ose interroger la partition, lui poser toutes les questions habituellement esquivées, et surtout y répondre – l'auto-interview reproduite dans le programme éclaire sans concession une démarche pour le moins nécessaire. Et toujours en interprète. Car par la lettre, le chef gantois recherche cet esprit enfoui, sinon perdu, sous d'innombrables couches de métaphysique.

    Il ne s'agit en effet pas simplement de rétablir, entre autres données purement historiques ou techniques, la pratique ornementale et la battue à la blanche du récurrent Andante alla breve – René Leibowitz a magistralement fait le tour de la question dans le Compositeur et son double –, mais de revenir à l'essence du dramma giocoso, catégorie d'opera buffa – c'est sous cette dénomination que l'oeuvre apparaît dans le catalogue personnel du compositeur – à laquelle les interprétations romantico-dépressives du mythe n'ont pas peu contribué à faire un sort.

    Car Don Giovanni appartient bel et bien, à l'instar des Noces de Figaro, au même genre que cette Cosa rara, grand succès de Martín y Soler sur un livret de Lorenzo da Ponte, que Mozart cite dans la scène du souper. Sans en nier la subversive singularité, Jacobs s'attache donc à retrouver, avec son habituel sens du rebond dramatique développé au contact de Monteverdi, Cavalli et Cesti, l'unité structurelle, organique propre au genre, notamment dans la version viennoise, par le retour à la ponctuation originelle d'une oeuvre à la syntaxe malmenée durant près de deux siècles – entre autres exemples, le trio des masques redevient un aparté, comme suspendu entre parenthèses, et non plus un ensemble « bouleversifiant » de musique pure.

    Grâce à une rythmique d'une stupéfiante mobilité, culminant avec l'enivrante superposition du menuet, de la contredanse et du teitsch dans le Finale du premier acte, à un Freiburger Barockorchester virtuose et coloré sans doute seul capable de s'y plier comme un seul homme – Petra Müllejans entraîne plus d'un pupitre dans son archet –, et à un continuo volubile, mais jamais encombrant comme il pouvait l'être dans le Nozze di Figaro – Nicolau de Figueiredo a laissé le pianoforte à Giorgio Paronuzzi –, les couleurs les plus vives de l'opéra sont enfin révélées, au profit même de ses zones d'ombre.

    Coloriste autant que dessinateur, René Jacobs constitue donc le coeur de cette interprétation, d'autant que sa distribution aurait sans doute suscité un enthousiasme plus mesuré dans un autre contexte. À cet égard, l'Elvira d'Alexandrina Pendatchanska et le Leporello de Lorenzo Regazzo n'avait que partiellement convaincu sous la direction impossible d'Evelino Pidò en juin dernier au Théâtre des Champs-Élysées.

    Usant des inégalités de ses registres, la première offre ici un portrait particulièrement touchant d'une épouse délaissée authentiquement baroque, osant quasiment le recitar cantando dans l'accompagnato miraculeusement serti de Mi tradì, tandis que l'italianità et la vis comica irrésistibles du second, basse un rien maugréante, sont avantagées par la juste caractérisation des rôles bouffes, rehaussée dans la version de Vienne par le duo Per queste tue manine, où la piquante Zerlina de Sunhae Im fait preuve d'une fantaisie et d'un abattage ravissants.

    Un Don Giovanni de 26 ans extrêmement licencieux

    Dans cette vision où Don Giovanni n'est guère plus qu'un « jeune homme extrêmement licencieux Â» inconscient, pour ainsi dire ingénu, Johannes Weisser, baryton clair de 26 ans – le créateur Luigi Bassi en avait 21 – à l'émission aisée, naturellement percutante, et à la diction précise, sinon idiomatique, est idéal de nonchalance vocale et physique. Avec le Masetto grasseyant à souhait de Nikolay Borchev et le Commandeur vrombissant d'Alessandro Guerzoni, les clefs de fa ne manquent décidément pas d'allure.

    Quant au couple serio, il est dominé par l'Ottavio suprêmement élégant, au timbre melliflu de Kenneth Tarver, la Donna Anna d'Olga Pasichnyk exhibant, par-delà quelques aigus ébréchés, une couleur splendidement charnue et un style parfois en porte-à-faux.

    Si Don Giovanni demeure sous la direction de René Jacobs un authentique opéra de chef – il s'agit définitivement du seul lien de cette interprétation avec la grande tradition romantique –, mais peut-être plus encore d'orchestre, il semble enfin réconcilié avec une postérité pervertie, parfois avec génie. Écoute quasi-religieuse – cela tient désormais du miracle – et ovation debout.




    Salle Pleyel, Paris
    Le 29/10/2006
    Mehdi MAHDAVI

    Version de concert de Don Giovanni de Mozart sous la direction de René Jacobs à la salle Pleyel, Paris.
    Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
    Don Giovanni, dramma giocoso en deux actes (1787)
    livret de Lorenzo da Ponte.
    Version de Vienne (1788).

    Le Jeune Choeur de Paris
    Freiburger Barockorchester
    direction : René Jacobs
    assistant musical et chef de choeur : Piers Maxim

    Avec :
    Johannes Weisser (Don Giovanni), Lorenzo Regazzo (Leporello), Olga Pasichnyk (Donna Anna), Kenneth Tarver (Don Ottavio), Alexandrina Pendatchanska (Donna Elvira), Suhae Im (Zerlina), Nikolay Borchev (Masetto), Alessandro Guerzoni (le Commandeur).

     


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