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CRITIQUES DE CONCERTS |
22 novembre 2024 |
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Récital du pianiste Alfred Brendel dans le cadre de Piano**** au Théâtre du Châtelet, Paris.
Vienne, tout simplement
Pionnier de la série Piano****, Alfred Brendel est fidèle à son rendez-vous parisien annuel. Recueillement et vénération enthousiaste d'une salle comble, pour un programme à cent pour cent viennois d'une tenue fabuleuse tant par le choix judicieux des oeuvres que par une interprétation d'anthologie.
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Lights, camera, action !
Vigueur et courants d’air
En passant par la mort
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L'impression d'avoir vécu l'essentiel. Voilà ce que l'on ressent au cours de ce concert au programme sans concession. Une fois encore, Alfred Brendel nous a permis de partager avec lui ces longues années d'expérience et de réflexion dans un répertoire où il fut toujours chez lui, par instinct et parce qu'il est né dans cette culture. Alors, il peut aujourd'hui se permettre de ne jouer dans une soirée que des oeuvres profondément intimes, dénuées de tout effet pianistique extérieur, nous entraînant dans un voyage unique où le rêve le dispute à la poésie, l'émotion pudique au drame contenu ou à la gaîté malicieuse.
Cette soirée incomparable commence par la subtile Sonate en ré majeur Hob.XVI/42 de Haydn. Vienne tranquille, sans tracas psychologique, avec le charme d'une forme ciselée en miniature. On entre ensuite dans la Sonate en sol majeur D. 894 de Schubert, magique. C'était la préférée de Schumann ; on comprend pourquoi. Vaste, tranquille, intense dans une sorte d'intériorité qui se creuse en longs développements, elle nous installe dans une méditation qui évoque autant les troubles secrets de l'âme qu'une paisible promenade, un peu nostalgique, au bord de l'eau ou en forêt.
Tout est dans la demi teinte, dans l'allusion, dans une sollicitation un peu irréelle que seuls, certainement, les doigts d'un Brendel peuvent traduire ainsi. Et quand les dernières notes s'effacent furtivement dans un pianissimo qui semble s'excuser – ou même s'envolent comme une feuille morte que pousse un léger coup de vent – on ne sait plus très bien où l'on est, sur quel rivage le musicien et son interprète nous ont abandonnés, mais on est heureux.
Vienne sans Mozart, pari impossible. La fondamentale Fantaisie en ut mineur K. 475 apporte ses tonalités plus franchement dramatiques, angoissées, pessimistes. On reste certes encore dans les limites d'une expression bienséante, mais la rigueur ne minimise en rien les tourments qui s'expriment. Le Rondo en la mineur paraîtra plus doux, dans une autre lumière, plus sereine, avec de la part du pianiste, un toucher proprement miraculeux.
Et pour finir, ce sera Vienne enjouée, avec la Sonate en ut majeur Hob.XVI/50 de Haydn, déroulée souvent le sourire aux lèvres, comme l'invite un jeu qui nous remet les pieds sur terre. On n'oubliera pas l'air malicieux et heureux de Brendel achevant la pièce comme s'il venait de nous jouer un bon tour, ou plutôt de se donner – de nous donner – un petit plaisir un peu secret, point final intime à une soirée de complicité profonde, unique tout simplement.
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Là -haut, tout près des voûtes
Jubilation de l'intelligence musicale et de la sensibilité ciselée, le jeu d'Alfred Brendel s'impose d'emblée dans la Sonate en ré majeur de Haydn. Ce piano suprêmement délié, où la transparence devient clairvoyance, où chaque articulation est une pierre précieuse mûrement incrustée pour le rayonnement d'un joyau étincelant, séduit par son classicisme spirituel. Le souci constant du timbre de l'instrument y est allié à un sens parfait de l'équilibre si bien que le moindre sotto voce ressort avec une délicatesse sans égal.
On trouvera dans la Sonate D. 894 de Schubert cette même aération et ce sens de la couleur instrumentale extraordinaire, où Brendel privilégie les voûtes plutôt que les sous bassements, dans un Schubert aérien qu'il intègre complètement, à examiner l'ordre du programme, dans la tradition de ses prédécesseurs, et non simplement dans leur continuité. De l'art de composer un programme !
La salle ne semble pourtant pas tout à fait cerner l'ampleur de la réflexion, ni plonger dans le temps propre à Brendel ; quelques toux intempestives interrompent la résonance du premier mouvement si bien que le pianiste désapprouve d'un ferme mouvement de tête ce manque d'attention, pour mieux se lancer d'un Andante lumineux. Les fameuses ombres schubertiennes apparaissent pour le coup anecdotiques, ne faisant que passer dans un tissu sonore apaisé.
La Fantaisie en ut mineur de Mozart est moins convaincante. Charpentée au moyen de contrastes forts, l'écriture perd de son impact dramatique dans le jeu de Brendel. Le Rondo en la mineur K. 511 lui convient de ce point de vue beaucoup mieux. Mais la haute densité spirituelle d'un jeu désormais mythique se révélera une nouvelle fois indiscutablement dans Haydn, père spirituel de Mozart et de la musique viennoise et dont Brendel a fait la colonne vertébrale de son programme.
On distingue dans la lecture de cette Sonate en ut l'élégance maîtrisée du style classique autant qu'une écriture sévère évoquant parfois Bach. L'Adagio, de toute beauté, s'impose comme le coeur du concert, Brendel étirant la phrase dans les sphères des aigus pour en parachever l'expression. À ce stade, la maîtrise est telle qu'un silence impressionnant saisit l'auditoire jusqu'au terme de la sonate.
Dans un ultime élan d'humour, le pianiste saura lui rendre sa liberté d'un signe de tête amical et humoristique, concluant son concert dans une simplicité musicale confondante.
Benjamin GRENARD
Cycle des Grands Interprètes
Auditorium Maurice Ravel, Lyon
6/11/2006
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Théatre du Châtelet, Paris Le 09/11/2006 Gérard MANNONI |
| Récital du pianiste Alfred Brendel dans le cadre de Piano**** au Théâtre du Châtelet, Paris. | Joseph Haydn (1732-1809)
Sonate pour piano en ré majeur Hob.XVI/42 (1784)
Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour piano en sol majeur D. 894 (1826)
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Fantaisie pour piano en ut mineur K. 475 (1785)
Rondo pour piano en la mineur K. 511 (1787)
Joseph Haydn (1732-1809)
Sonate pour piano en ut majeur Hob.XVI/50 (1794)
Alfred Brendel, piano | |
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