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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Version de concert d'Acis et Galatée de Haendel sous la direction de Robert King à la Cité de la Musique, Paris.
Délices et Galatée
Peut-être occultées par l'intégrale de la musique sacrée de Vivaldi, qui vient de s'achever, et de Monteverdi, qui suit son cours chez Hyperion, les réalisations haendéliennes de Robert King et de son King's Consort n'en sont pas moins considérables. Pour preuve, cet Acis et Galatée proche de la perfection présenté à l'occasion d'une de leurs rares apparitions en France.
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Complicité artistique
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Hommage au réalisme poétique
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Quoi de plus normal que nos voisins d'outre-Manche se soient appropriés Haendel, tant les sonorités du caro sassone incarnent, au même titre que celles de Purcell, Elgar, Vaughan Williams ou Britten, une certaine idée de la Grande-Bretagne ?
Ayant introduit l'opéra italien dans son pays d'adoption en 1711 avec Rinaldo, suivi de Il Pastor fido (1712), Teseo (1713) et Amadigi (1715), le compositeur se retire à Cannons, résidence du comte de Carnavon, futur duc de Chandos, de 1717 à la fin de 1718 ou au début de 1719, où il réapparaît à Londres. Hormis les Chandos Anthems, Haendel y écrit son premier oratorio en langue vernaculaire, Esther, et s'inscrit dans la tradition du masque, illustrée par Henry Purcell et John Blow, avec Acis and Galatea, dont il avait déjà traité le sujet tiré des Métamorphoses d'Ovide dans une cantate à trois voix, probablement créée à Naples au cours de l'été 1708.
Rien de commun pourtant entre ces deux oeuvres, si ce n'est dans une version remaniée et agrémentée d'emprunts à l'Aci originel, en riposte à une exécution pirate. Car Acis et Galathée est sans doute avec l'Allegro, il Penseroso ed il Moderato l'oeuvre la plus typiquement anglaise d'un compositeur qui a parfaitement su assimiler et traduire l'esprit d'une nation, saupoudrant la fable pastorale de pointes d'ironie dignes des toiles de son contemporain William Hogarth.
Comme dans le Messie, Israël en Egypte et autre Judas Maccabée, les musiciens britanniques y sont d'ailleurs imbattables. Assez injustement cantonné, à l'instar d'Harry Christophers, dans l'ombre hégémonique de Paul McCreesh de ce côté-ci de la Manche, Robert King en offre ainsi une exécution presque parfaite.
Phrasée avec une subtile évidence, la musique prend vie, respire en un dialogue idéalement concertant, envoûtant, entre une petite douzaine de cordes d'une rare plénitude et un hautbois omniprésent, parfois supplanté par la flûte, tour à tour ironique et caressante. Il ne reste dès lors plus aux voix qu'à se poser sur cet écrin aux accents variés, aux contrastes savamment dosés, animé par un constant souci d'équilibre, qui jamais ne tente de forcer le style délicatement singulier de l'oeuvre dans la production haendélienne en lui imposant un dramatisme hors de propos, et par là même enchante et bouleverse.
Fraîche comme la rosée, où perle parfois une larme, et d'une conduite délicieuse, Lucy Crowe est une Galatée au velours irradiant. Présenté comme « l'un des plus grands chanteurs de sa génération » dans le programme, James Gilchrist mérite incontestablement ce titre pompeux grâce à un timbre somptueusement modulé et une maîtrise technique époustouflante dont il use avec raffinement et sensibilité, notamment dans un Love sounds th'alarm inépuisable d'amoureuse vaillance.
Taillée dans une roche légèrement charbonneuse, la voix d'Andrew Foster-Williams se révèle admirablement virtuose et percutante dans les accès de fureur de Polyphème. Quant aux fades raideurs du Damon de Charles Daniels, elles pourraient être une ombre légère à ce magnifique tableau si le ténor anglais ne parait « l'éphémère plaisir » de Consider, fond shepherd de tant de délicatesse. Et quelle intensité d'écoute lorsque tous se rejoignent dans les choeurs !
Un rare moment d'indicible grâce musicale.
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