|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
30 décembre 2024 |
|
Récital Wagner de Ben Heppner accompagné par l'Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction de Myung-Whun Chung à la salle Pleyel, Paris.
Le miracle Heppner
Entendre Ben Heppner en l'espace de trois semaines dans pratiquement tout ce qu'il y a d'isolable sans trop de dégâts dans ce que Wagner a composé pour sa voix, c'est un luxe absolu. Après avoir eu la primeur de son récital consacré au Ring, Paris retrouve le plus grand ténor wagnérien du moment dans des extraits des rôles qui l'ont d'ores et déjà inscrit dans la légende.
|
|
Bons baisers d’Eltsine
Chambre déséquilibrée
RĂ©gal ramiste
[ Tous les concerts ]
|
Tordons d'abord le cou à quelques idées reçues. Le chant wagnérien serait en constant déclin depuis près d'un demi-siècle. Mais le problème ne serait-il pas avant tout quantitatif ? On chante mal Wagner parce qu'on le chante trop : on n'a par exemple jamais produit autant de Ring qu'en ces années dites de vaches maigres. Ne suffirait-il pas de réunir les meilleurs wagnériens du moment pour bâtir un nouveau Walhalla, qui n'aurait en aucun cas à rougir face aux légendes du passé ?
Brandissant leurs vieilles cires, et pour certains même, aussi rares que les poilus, leurs seuls souvenirs, les gardiens du temple vous répondront sabre au clair : « Mais quel ténor ? » Car le Heldentenor véritable est une denrée rare, et de l'avis même de l'un d'entre eux, qui n'a pas encore touché à Wagner, mais qui devrait être incapable, à l'écoute de ses plus récentes prestations, de tenir les promesses de ses gigantesques Bacchus straussiens : « Je ne veux offenser personne, mais cela ressemble la plupart du temps à un grognement poussif et désagréable ». Ceux-là ont existé, et il en existe aujourd'hui davantage encore, jusqu'à la caricature, qui font le quotidien wagnérien, y compris des plus grandes scènes.
Mais l'époque, où les Stephen Gould, Robert Dean Smith, et surtout Peter Seiffert tiennent plus que dignement leur rang, a été moins avare que d'autres en voix de qualité, d'émission relativement souples et lumineuses. D'autant que l'une d'entre elles fait mieux qu'exception : Ben Heppner est ni plus ni moins en train d'écrire une page de l'histoire du chant, et pas seulement wagnérien.
Lauritz Melchior disait que les véritables voix de Heldentenor se développaient la plupart du temps à partir d'un baryton aigu. Il n'y a pourtant pas plus ténor que le Canadien. Ce qui ne retire en rien à l'impact de sa voix, tant le timbre en est lumineux et pénétrant, d'une qualité cultivée sur l'ensemble de l'ambitus, jusque dans un grave mûri par Tristan. Heppner a l'endurance aussi, qui lui permet, plus qu'aucun autre, mieux qu'aucun autre, de chanter la moindre note, toujours sur le souffle, de ces rôles que la plupart finissent par déclamer.
La plus pure et poétique des lignes wagnériennes
Il y eut wagnériens plus extravertis, plus hallucinés, plus visionnaires, plus viscéraux, plus sombres, plus shakespeariens, sans doute d'emblée plus mythiques, mais d'une ligne aussi pure, aussi poétique ? Et même quand tous les autres se contenteraient de chanter bien, le colosse aux pieds d'argile chante beau, toujours, sans que sa voix unique ne s'altère, tant cette sveltesse, cette ductilité, cette pureté, cette jeunesse semblent éternelles. Car le ténor a su attendre – Tristan à 41 ans, bientôt Siegfried à 52 –, alterner, ne pas surcharger : il chantait encore Idomenée, et la version longue de Fuor del mar il y a deux mois à peine, preuve de suprême discipline.
Après ses épatants avant-goûts de Ring au Théâtre des Champs-Élysées – deux concerts de ce géant en moins d'un mois, c'est une aubaine – le voici, sous la direction assez uniformément extatique de Myung-Whun Chung, qui rate paradoxalement le prélude de Parsifal malgré un Philharmonique des grands jours, dans les rôles qui ont fait sa jeune légende. Le legato infini, l'art de la dynamique, de l'incarnation purement musicale compensent largement, dans le Récit du Graal de Lohengrin, qu'on chante après trois heures et demie en scène, et qui ici débute, la prudence des aigus, un rien étroits encore, tandis que Parsifal, sa plus récente prise de rôle, qui reste pourtant l'apanage des plus barytonnants, est phrasé avec un luxe inouï.
Mais le plus beau, le plus grand, le plus vrai tour de force de Ben Heppner, et qui le fait unique, et égal des plus grands, sinon le plus grand, est une fois encore Tristan, et ses hallucinations chantées d'un bout à l'autre, jamais éructées, jamais déclamées, sans rien d'escamoté, mais avec d'authentiques couleurs de déchirure, d'une approche musicale avant d'être théâtrale, d'une ligne qui exprime la souffrance sans que cet instrument d'une immauble plasticité en souffre, mais sans froideur aucune : l'art absolu en somme. Et donner en bis le Morgenlicht leuchtend des Maîtres chanteurs aussi serein et rayonnant après avoir sondé de tels abîmes, ce n'est pas un exploit, mais un miracle pur et simple.
| | |
|
Salle Pleyel, Paris Le 08/12/2006 Mehdi MAHDAVI |
| Récital Wagner de Ben Heppner accompagné par l'Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction de Myung-Whun Chung à la salle Pleyel, Paris. | Richard Wagner (1813-1883)
Extraits de Tannhäuser, Lohengrin, Parsifal et Tristan und Isolde
Ben Heppner, ténor
Orchestre Philharmonique de Radio France
direction : Myung-Whun Chung | |
| |
| | |
|