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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production d'Idoménée de Mozart mise en scène par Luc Bondy et sous la direction de Thomas Hengelbrock à l'Opéra de Paris.
Un Idoménée d'après la tempête
Si une nouvelle production d'Idoménée s'imposait à l'Opéra de Paris après le ratage complet d'Ivan Fischer, la mise en scène embrumée de Luc Bondy, bien que retravaillée depuis sa création à la Scala de Milan dans l'urgence d'un changement de direction inattendu, échoue dans sa tentative d'épure tragique, jusqu'à jeter un voile sur une exécution musicale de tout premier ordre.
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Cette nouvelle production d'Idoménée ne peut pas ne pas évoquer l'Hercules de Haendel également mis en scène par Luc Bondy sur la scène du Palais Garnier en décembre 2004, à la différence près que le bunker de Richard Peduzzi avait, par ses parois oppressantes, son colosse effondré, sa nudité tragique en somme, bien plus d'impact dramaturgique que le cyclo peint à l'eau de vaisselle, bordant une plage grisâtre, d'Erich Wonder.
Plus rien ne semble en effet vouloir, ou plutôt pouvoir se passer dans la pénombre enfumée de ce décor d'après la tempête, d'emblée dévasté. Car si elle tend à exprimer par l'épure la désolation, l'inexorable, et cet archaïsme du sacrifice que Krzysztof Warlikowski traduisait avec une toute autre violence dans Iphigénie en Tauride, l'écriture scénique de Bondy, ailleurs si essentielle, se dilue dans le vide, que pas un geste, pas une présence authentiquement théâtrale ne viennent combler, malgré trois superbes actrices – l'Iole aixoise, la Déjanire de son Hercules, et la Gouvernante de son Tour d'écrou –, ici livrées à elles-mêmes, là à une agitation aussi vaine qu'anecdotique.
Engoncée dans une redingote de coupe bonapartiste, et ridiculement emperruquée, Joyce DiDonato n'a que son génie de la caractérisation vocale, sa ligne intensément tendue vers la lumière, parfois sur le point de rompre, et pourtant plantureuse, pour rendre l'ardeur fébrile, les atermoiements adolescents d'Idamante, dont elle enflamme les récitatifs.
En timbre de plus en plus corrosif, Mireille Delunsch attaque crânement les difficultés, trébuche çà et là – surtout quand Bondy la fait chanter dans des positions incongrues –, mais suspend Soavi Zeffiri avec une infinie délicatesse, Elettra rongée de l'intérieur, d'une fureur ambiguë, insinuante, jamais préconçue, d'une sensibilité magnifiée par ce spleen qui signe chacune de ses prises de rôle.
Petite fille modèle lestée d'improbables rangers, Ilia bénéficie de la plastique avantageuse, du timbre ravissant, et du chant policé de Camilla Tilling. Mais tant par les trépignements imposés par Bondy que par l'étroitesse de l'instrument, l'oie blanche guette, comme si souvent depuis que l'on s'obstine à distribuer la princesse troyenne à des sopranos poids plume.
Ramón Vargas a en revanche pour Idoménée un format aussi idéal qu'inhabituel. Il y eut, certes, incarnations plus torturées, plus déclamatoires, privilèges des timbres d'ombre écorchée, mais le chant solaire du ténor mexicain puise son autorité, sa superbe même, dans la souplesse, la pureté stylistique, le naturel de l'accent, pour un portrait purement musical, à l'impact décuplé par la simple beauté d'un timbre enfin latin.
Une texture orchestrale transfigurée
Si Thomas Moser, en voix désormais trop imposante, trop usée aussi, pour ne pas paraître poussif dans la vocalité archaïsante d'Arbace, dépare quelque peu ce quatuor d'une parfaite homogénéité, tant par le grain serré des voix que par leur vibratos frémissants, Thomas Hengelbrock le coule dans une texture orchestrale transfigurée : cordes avares de vibrato, d'une absolue rigueur dans les attaques, cuivres d'une irrésistible verdeur, en un miraculeux dialogue avec des bois toujours poétiques.
Et pour que l'Orchestre de l'Opéra de Paris accepte de se plier à ce jeu aux arêtes vives, dit « à l'ancienne », avec son agogique parfois déroutante, ses cadences accompagnées de roulements de timbales, son pianoforte volubile, Nicolau De Figueiredo oblige, il fallait bien que le geste du chef allemand ne soit jamais dogmatique, mais tout entier tendu vers cette urgence tragique dont la mise en scène échoue, jusqu'en un lieto fine détourné qui préfère s'éteindre sur un pessimiste decrescendo plutôt que de laisser triompher l'amour et la paix, à donner plus qu'une vague idée, à tel point que la pénombre ambiante menace plus d'une fois de s'étendre sur une exécution musicale pourtant superbement aboutie.
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Palais Garnier, Paris Le 11/12/2006 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production d'Idoménée de Mozart mise en scène par Luc Bondy et sous la direction de Thomas Hengelbrock à l'Opéra de Paris. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Idomeneo, dramma per musica en trois actes K. 366 (1781)
Livret de Giambattista Varesco d'après Idoménée d'Antoine Danchet
Choeurs et orchestre de l'Opéra national de Paris
direction : Thomas Hengelbrock
mise en scène : Luc Bondy
décors : Erich Wonder
costumes : Rudy Sabounghi
éclairages : Dominique Bruguière
dramaturgie : Geoffroy Layton
chorégraphie : Arco Renz
perruques : Catherine Friedland
Avec :
RamĂłn Vargas (Idomeneo), Joyce DiDonato (Idamante), Camilla Tilling (Ilia), Mireille Delunsch (Elettra), Thomas Moser (Arbace), Xavier Mas (Il Gran Sacerdote), Ilya Bannik (La Voce), Yun-Jung Choi et Hye-Youn Lee (Due Cretesi), Jason Bridges et Bartlomiej Misiuda (Due Troiani). | |
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