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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production des Maîtres chanteurs de Wagner mise en scène par Pierre Strosser et sous la direction de Klaus Weise au Grand Théâtre de Genève.
Le Crépuscule des Maîtres
Grosse déprime chez les Maîtres chanteurs de Pierre Strosser à Genève, qui refusent toute jubilation pour n'afficher qu'un Sachs au bord du suicide et une Guilde tout à fait délétère. Mené par la baguette pas toujours inspirée de Klaus Weise, un plateau somptueux vient confirmer qu'une bonne distribution wagnérienne est encore possible.
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Ceux qui comptaient se détendre au Grand Théâtre de Genève avec les Maîtres chanteurs de Pierre Strosser en seront sans doute ressortis avec une féroce envie de se jeter au lac Léman. Car rarement la seule « comédie » wagnérienne aura paru à ce point déprimante.
La scénographie d'abord, à se flinguer, entre ces quartiers en brique marronnasse à la Wozzeck, ce tilleul aux branches amputées, cette tendance presque systématique au sous-éclairage. Les partis pris ensuite, défendables mais guère plus folichons : Beckmesser en consciencieux chef de chorale paroissiale progressivement réduit à un pathétique pantin de cinéma muet, une Guilde aux allures d'harmonie municipale – seul rempart à la morosité des cités ouvrières – rappelant les Virtuoses de Mark Herman, et ce finale qui tourne en eau de boudin, où les Maîtres quittent l'assistance, où Eva et Walther se font la malle, laissant un Sachs déjà beaucoup plus torturé que de raison esseulé devant son piano.
La transposition, cohérente et bien réalisée, fonctionne, sans scorie, avec même une convaincante direction d'acteurs et une amertume qui sait sortir l'oeuvre de la simple farce ; mais immanquablement, le visuel jure avec la musique, et le rythme de cette « folle journée bavaroise », sa course à la jubilation en font forcément les frais – jusqu'à une échauffourée du II dénuée de frénésie, vécue comme au ralenti – d'autant que la battue inégale de Klaus Weise, légère et de belle avancée mais grevée de quelques spectaculaires chutes de tension, n'insuffle que sporadiquement l'énergie théâtrale nécessaire.
Surtout, chaque moment de poésie en sort anéanti, telle l'évocation de l'oiseau chantant le printemps dans la rêverie de Sachs au II, scéniquement réduite, dans le silence qui précède les tendres notes répétées au cor, à l'allumage par le cordonnier d'une sordide lampe de palier.
Passons sur les faiblesses du plateau – le Pogner terriblement plébéien de Walter Fink, le Beckmesser à contre-emploi de Dietrich Henschel, timbre et projection en pleine détresse, qui, s'il n'a jamais eu une grande voix, affiche aujourd'hui un délabrement rédhibitoire – pour en retenir les attraits, nettement plus marquants. Plus à même d'évoquer les ténèbres que la bonté bourrue, Albert Dohmen n'a certainement pas la couleur idéale pour Sachs, et réussit forcément mieux les noirs éclats de Wahn ! que l'atmosphère schubertienne de Was duftet doch der Flieder. Mais le personnage, résigné, abattu, compte parmi les plus touchants, et du moins le chanteur tient-il sa partie jusqu'à son terme sans fatigue notoire.
Grande découverte ensuite que le Walther suave et belcantiste de Klaus Florian Vogt, jeune wagnérien qui a le vent en poupe mais nage à contre-courant des barriques hurlantes, avec une émission claire, très haute, sans presque de voix de corps, une demi-teinte prodigieuse – l'évanescence de Ich hatt' einen wunderschönen Traum –, un art de mettre du nez dans la voix – pour la rondeur, la douceur – mais jamais la voix dans le nez, mais aussi un timbre adolescent, presque androgyne, une élégance aristocratique qui rappellent un Windgassen.
La plus grande surprise de la soirée restera toutefois l'Eva transfigurée d'Anja Harteros, voix toujours sans charme et vite dure qui n'est pas sans rappeler celle d'une autre Anja, mais loin des vociférations de Toulouse en juin, qui commet ici de belles nuances, attentive à ne pas crier, admirablement canalisée par le chef et laissant planer sur un quintette de toute beauté – structuration des plans et des lignes, art de la mezza voce chez tous, homogénéité des couleurs – une féminité fragile du plus bel effet.
Le David toujours aussi pétillant de Toby Spence, la Lene bien chantante de Fredrika Brillembourg et des choeurs splendides – manquant juste un rien d'ampleur dans les voix masculines – rehaussent ces Maîtres anormalement crépusculaires.
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Grand Théâtre, Genève Le 28/12/2006 Yannick MILLON |
| Nouvelle production des Maîtres chanteurs de Wagner mise en scène par Pierre Strosser et sous la direction de Klaus Weise au Grand Théâtre de Genève. | Richard Wagner (1813-1883)
Die Meistersinger von Nürnberg, opéra en trois actes (1868)
Livret du compositeur
Choeur Orpheus de Sofia
Choeur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse romande
direction : Klaus Weise
mise en scène et décors : Pierre Strosser
costumes : Patrice Cauchetier
éclairages : Joël Hourbeigt
préparation des choeurs : Krum Maximov & Ching-Lien Wu
Avec :
Albert Dohmen (Hans Sachs), Walter Fink (Veit Pogner), Matthias Aeberhard (Kunz Vogelgesang), Josef Wagner (Konrad Nachtigall), Dietrich Henschel (Sixtus Beckmesser), Andrew Greenan (Fritz Kothner), André Post (Balthasar Zorn), Ivan Matiakh (Ulrich Eisslinger), Henry Moss (Augustin Moser), Bernhard Spingler (Hermann Ortel), Mark Richardson (Hans Schwarz), Martin Snell (Hans Foltz), Klaus Florian Vogt (Walther von Stolzing), Toby Spence (David), Anja Harteros (Eva), Fredrika Brillembourg (Magdalene), Diogenes Randes (Nachtwächter). | |
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