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CRITIQUES DE CONCERTS 21 décembre 2024

Reprise du Don Giovanni de Mozart mis en scène par Michael Haneke, sous la direction de Michael Güttler à l'Opéra de Paris.

L'opéra n'est pas du cinéma
© Éric Mahoudeau

Peter Mattei (Don Giovanni) et Luca Pisaroni (Leporello).

La reprise de la production du cinéaste Michael Haneke du Don Giovanni de Mozart à la Bastille oblige à se reposer quelques questions de base sur le traitement de ce type d'ouvrage par des metteurs en scènes étrangers au monde lyrique. Une soirée qui interroge beaucoup, ennuie souvent, agace parfois, mais dont certaines qualités s'imposent sans contredit.
 

Opéra Bastille, Paris
Le 24/01/2007
Gérard MANNONI
 



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  • Inutile de nier qu'un spectacle comme ce Don Giovanni ne peut laisser personne indifférent. Ceux qui y découvrent l'oeuvre peuvent facilement être séduits sans restrictions. On leur pardonnera leur manque de références. Ceux qui ne pensent que par références, justement, peuvent être scandalisés. On leur pardonnera aussi d'oublier tant de productions philologiquement correctes mais routinières, poussiéreuses, sans talent ni vraies idées. Restent les esprits de bonne volonté qui en ont vu bien d'autres, prêts à accueillir de nouvelles propositions, mais en gardant un minimum de raison ; la tête froide, pour ainsi dire.

    Cette production est finalement un mélange de grandes qualités et d'énormes défauts, voire d'abus. À la base, on décèle une erreur d'approche. Aujourd'hui, on adore le mélange des genres, au point d'oublier que dans le théâtre dramatique, tout doit être au service du texte, source première de l'émotion, qu'au théâtre lyrique, cette émotion provient d'abord de la musique et du chant et qu'au cinéma, elle vient d'abord de l'image. Dès lors qu'on inverse ces priorités, on peut courir au désastre. Et on le constate aujourd'hui dans trop d'opéras où le visuel sert de cache-misère à des voix médiocres voire nulles.

    Que se passe-t-il dans le cas présent ? Michael Haneke aborde l'oeuvre de Mozart avec les moyens du cinéma, c'est-à-dire en jouant la carte de chanteurs acteurs ayant le physique des rôles, une mobilité corporelle totale, et en tentant par tous les moyens de s'approprier le temps musical pour l'allonger ou le raccourcir à sa guise. Le résultat est logique : avec les chanteurs qui ont les moyens complets exigés, tout fonctionne ; avec ceux qui ne les ont pas, rien de fonctionne.

    © Éric Mahoudeau

    Le Don Giovanni de Peter Mattei et le Leporello de Luca Pisaroni sont exemplaires et font tout accepter car ils jouent juste et chantent bien – à l'exception pour Mattei d'un Air du champagne savonné et aboyé de manière grotesque dans un tempo apocalyptique. Le chant et la musique restent la première source d'émotion, complétés par un comportement scénique magistral qui rend quasiment tout plausible, notamment l'équivoque sur la nature de leur relation – autant amants que maître et serviteur – tout à fait dans l'esprit libertin. Sade n'est pas si loin de Da Ponte et même de Mozart.

    En revanche, rien ne passe avec une Donna Anna – Carmela Remigio – chantant bas sans cesse avec une voix flottante et sans charme ni style, ni avec une Donna Elvira – Arpiné Rahdjian – aux beaux moyens mais qui chante Mi tradì comme Tosca.

    Les incohérences de la mise en scène deviennent alors grotesques : la malheureuse Anna semble étrangement aveugle si elle n'a pas vu le visage de l'homme qui quitte sa chambre en enfilant son pantalon et auquel elle s'accroche désespérément ; on ne peut s'empêcher de songer à Ségolène Royal en la voyant surgir plus tard cheveux au vent dans son petit tailleur blanc ; Haneke pouvait de même faire confiance à la seule musique pour exprimer tout ce que raconte Non mi dir plutôt que de faire en sorte qu'Anna se torde par terre comme dans une crise de colique.

    Il en va de même pour maints comportements d'Elvira, dont on s'étonne par exemple qu'elle cherche Don Juan qu'elle vient d'occire d'un coup de couteau. Si le chant suivait, sans doute tout cela semblerait-il moins risible, car à la fin du premier acte, Peter Mattei fait passer sans problème le fait de se contenter, au lieu de désarmer Don Ottavio, d'enlever sa chemise et de sortir vers le lointain bras en croix, superbe silhouette presque christique qui traverse ses agresseurs médusés. Mais ça, il faut savoir le faire !

    Points d'arrêts exaspérants

    Alors oui, les perpétuels arrêts au milieu des récitatifs sont exaspérants et anti-musicaux ; oui, ce n'est pas honnête du tout de trafiquer à ce point le surtitrage pour que le texte corresponde à ce que l'on voit sur scène et non à ce qu'a écrit Da Ponte, car cela trompe ceux qui découvrent l'oeuvre ; oui, le décor est superbe mais trop contraignant ; oui la scène finale est ratée – pour le regard plein de reproches du peuple qui s'avance menaçant vers ces méchants spectateurs qui ont payé si cher leur place, Chéreau avait fait mille fois mieux à Bayreuth en 1976.

    Mais tout ne cela n'empêche pas que la folie destructrice de Don Giovanni qui explose littéralement par instants, son rapport complexe avec Leporello, l'ensemble des équivalences contemporaines exprimant le rapport de forces dominant-dominé du XVIIIe siècle passent brillamment la rampe et resteront à bien des égards des moments d'anthologie. Si seulement Haneke avait eu davantage confiance en la puissance intrinsèque de la musique et du chant mozartiens.

    Le jeune chef allemand Michael Güttler peine souvent à éviter décalages et départs approximatifs tant sur le plateau que dans la fosse, mais son approche très musique de chambre, parfois même trop discrète, ne manquera pas de séduire les amateurs du genre. Reconnaissons aussi que le public, sans faire un triomphe au spectacle, l'applaudit sans réserve, distinguant fort bien les bons chanteurs des autres et repart content, même si certains ont conscience de n'avoir pas tout compris. Cela ne fait rien ; on n'a jamais fini de comprendre Don Giovanni.




    Opéra Bastille, Paris
    Le 24/01/2007
    Gérard MANNONI

    Reprise du Don Giovanni de Mozart mis en scène par Michael Haneke, sous la direction de Michael Güttler à l'Opéra de Paris.
    Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
    Il dissoluto punito ossia il Don Giovanni, dramma giocoso en deux actes (1787)
    Livret de Lorenzo Da Ponte

    Choeurs et Orchestre de l'Opéra national de Paris
    direction : Michael Güttler
    mise en scène : Michael Haneke
    décors : Christoph Kanter
    costumes : Annette Beaufaÿs
    éclairages : André Diot
    préparation des choeurs : Peter Burian

    Avec :
    Peter Mattei (Don Giovanni), Mikhail Petrenko (Il Commendatore), Carmela Remigio (Donna Anna), Shawn Mathey (Don Ottavio), Arpiné Rahdjian (Donna Elvira), Luca Pisaroni (Leporello), David Bizic (Masetto), Aleksandra Zamojska (Zerlina).

     


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