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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de la Juive d'Halévy mise en scène par Pierre Audi et sous la direction de Daniel Oren à l'Opéra de Paris.
Triomphal retour de la Juive
Annick Massis (la princesse Eudoxie) et Anna Caterina Antonacci (Rachel).
Donné plus de cinq cents fois au XIXe siècle et notamment pour l'inauguration du Palais Garnier, disparu curieusement de l'affiche en 1934 lors de la montée des fascismes européens, l'opéra de Halévy et Scribe vient de triompher pour son retour à l'affiche parisienne. Le public de l'Opéra Bastille a fait une immense ovation à une équipe musicale d'une exceptionnelle qualité.
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La grève d'une minorité d'éclairagistes a failli priver le public de cette première si attendue. Grâce à la volonté de Gerard Mortier et de Pierre Audi, ainsi qu'au professionnalisme du reste des équipes, le spectacle eut bien lieu, avec néanmoins une partie seulement des éclairages prévus. Difficile, dans ces conditions de juger pleinement le travail de Pierre Audi.
Disons quand même que la conception d'un décor fort beau et original, à la fois monumental et léger, l'utilisation des espaces, la définition dramatique des personnages, une volonté de sobriété dans la gestuelle, les costumes, les effets de masse, une habile manière de situer l'action à la fois hors du temps et dans son époque, tout contribue à mettre en valeur les multiples aspects du drame. Un très beau travail de théâtre, serré, efficace, sans bluff ni dérision, sans inutiles provocations ni paresseuses facilités. Le travail d'une équipe qui avait la volonté de servir l'oeuvre, de nous la faire aimer, de nous en faire comprendre sans détours les très complexes implications et retombées.
Car c'est bien cette complexité thématique, cette importance des sujets abordés et entremêlés dans une structure aussi riche que claire, l'impact dramatique de certaines scènes, qui a le plus étonné et séduit un public pourtant plein d'a priori. La musique d'Halévy n'est certes pas porteuse des messages intellectuels d'une partie du grand répertoire. Si l'on veut être honnête, on doit bien reconnaître qu'elle n'est apparue ni meilleure ni pire que celle la majorité des opéras français ou italiens de la même époque.
Mais on doit reconnaître aussi qu'elle a été interprétée de manière à mettre toutes ses qualités en valeur et à faire oublier ses faiblesses. Permettons-nous une comparaison. On disait d'Edith Piaf qu'elle nous aurait fait pleurer en lisant l'annuaire. La distribution mise en place par Gerard Mortier, la direction musicale de Daniel Oren, l'exécution de l'Orchestre et des Choeurs sont en tous domaines d'un tel niveau que la partie aurait de toute façon été gagnée.
Somptueuse et très belle dans son rôle de princesse trahie mais fidèle aux grands airs ornés, Annick Massis affirme sa vaste dimension internationale. Dans le très difficile rôle de Rachel, à l'écriture moins riche en effets, demandant autant d'intériorité que de force théâtrale, Anna Caterina Antonacci s'impose de façon magistrale, excellente comédienne aussi, tout comme Neil Shicoff, très en voix, Éléazar aux multiples facettes, l'ovation après son bouleversant Rachel quand du Seigneur bloquant la représentation de longues minutes. Robert Lloyd est un sombre et émouvant cardinal Brogni et John Osborn, aux aigus triomphants, le plus convaincant des perfides séducteurs.
Daniel Oren a su trouver par ses tempi, son contrôle des phrasés, par une multitude de nuances dans la délicatesse ou la puissance, toutes les astuces mettant en relief les plus intéressantes parties instrumentales de la partition, ses meilleurs éléments mélodiques et dramatiques.
Car, même si l'on est en droit de préférer une musique au plus dense contenu intellectuel, on ne saurait nier l'impact ni l'intérêt des thèmes et de la problématique contenus dans cet opéra où l'on retrouve la plupart des éléments qui ont constitué le grand théâtre lyrique romantique. On trouve aussi bien les grand duos des deux femmes rivales et alliées qui rappellent celui de Norma et Adalgise, que le C'est moi de Rachel s'accusant en écho au Son io de Norma avouant sa faute, que l'annonce de l'autodafé de Don Carlo ou encore celle de la fin du Trouvère, la vengeance d'Éléazar préfigurant celle d'Azucena.
Et puis, il y a cette figure passionnante du juif Éléazar, si proche du Shylock de Shakespeare, à la fois pathétique, odieux, attendrissant, monstrueux, victime et bourreau, et ces scènes d'une force incroyable où, dans la détresse, chrétiens et juifs implorent un Dieu qui est à la fois le même et différent, à la fois celui qui devrait les unir mais les oppose irrémédiablement.
Grand drame religieux de l'intolérance, comme le sera les Huguenots, aussi sévère pour les chrétiens que pour les juifs, avec cette relation étroite au judaïsme biblique et à ses rites que l'on retrouve dans Nabucco, Jerusalem et Moïse par exemple, la Juive est bien au coeur de toute la problématique romantique, avec même la trahison amoureuse d'où sortent grandies deux femmes d'exception.
Comment s'étonner qu'avec un propos si ambitieux et si riche, des airs aussi flatteurs pour les voix qu'aptes à émouvoir les spectateurs, l'ouvrage ait connu en son temps une telle popularité ? Il méritait sans aucun doute d'être ressuscité, quitte à le remettre à des proportions plus conformes à nos habitudes contemporaines, comme cela a été fait. Mais il fallait trouver les équipes musicales et dramatiques capables de relever ce défi. L'Opéra de Paris a su le faire de façon magistrale.
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Opéra Bastille, Paris Le 16/02/2007 Gérard MANNONI |
| Nouvelle production de la Juive d'Halévy mise en scène par Pierre Audi et sous la direction de Daniel Oren à l'Opéra de Paris. | Jacques Fromental Halévy (1799-1862)
La Juive, opéra en cinq actes (1835)
Livret d'Eugène Scribe
Choeurs et Orchestre de l'Opéra national de Paris
direction : Daniel Oren
mise en scène : Pierre Audi
décors : George Tsypin
costumes : Dagmar Niefind
éclairages : Jean Kalman
chorégraphie : Amir Hosseinpour
préparation des choeurs : Peter Burian
Avec :
Annick Massis (la princesse Eudoxie), Anna Caterina Antonacci (Rachel), Neil Shicoff (Éléazar), Robert Lloyd (le cardinal de Brogni), John Osborn (Léopold), André Heyboer (Ruggiero), Vincent Pavesi (Albert), Jian-Hong Zhao (hérault d'armes de l'Empereur), Étienne Lescroart (officier de l'Empereur), Christian-Rodrigue Moungoungou, Marc Chapron (hommes du peuple), Slawomir Szychowiak (le bourreau). | |
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