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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Version de concert Katerina Ismaïlova de Dimitri Chostakovitch sous la direction de Tugan Sokhiev au Théâtre du Châtelet, Paris.
L'envol de Tugan Sokhiev
Il fallait oser donner Katerina Ismaïlova de Chostakovitch en version de concert. Seule une interprétation musicale de premier ordre pouvait permettre de relever ce défi, ce qui a été admirablement le cas au Théâtre du Châtelet, grâce en grande partie, à la direction du jeune directeur musical de l'Orchestre du Capitole de Toulouse Tugan Sokhiev.
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On pouvait légitimement s'interroger sur l'intérêt de donner en version de concert une oeuvre au contenu dramatique et théâtral aussi permanent et aussi riche. Même légèrement édulcorée pour satisfaire aux exigences débiles et castratrices de la censure soviétique, la partition de Lady Macbeth de Mzensk devenue Katerina Ismaïlova reste une oeuvre d'une exceptionnelle puissance et d'une intensité peu commune.
Les personnages, en admettant que certains d'entre eux, comme certaines situations, sont traités de façon un peu outrée ou linéaire, ont tous une véritable dimension théâtrale, indissociable de la musique. L'action nécessite en outre des images pour rester totalement lisible. On songe en particulier à la scène finale, où il n'est pas évident dans le seul texte que les deux femmes périssent noyées, à moins de lire les indications scéniques du livret.
Et pourtant, quelle somptueuse soirée d'opéra propose le Châtelet, avec ces solistes de très haut niveau et un Orchestre national de France galvanisé par l'enthousiasme, la clairvoyance et le talent flamboyant du jeune Tugan Sokhiev, que Nicolas Joel a eu le flair d'attacher à l'Orchestre du Capitole !
Car cette partition est un piège permanent. Son opulence, tant dans le domaine des couleurs que de la dynamique ou de la thématique, doit être maîtrisée sans être appauvrie. Il faut déceler tout ce qui relève de l'illustration factuelle, anecdotique, et tout ce qui contient une dimension psychologique, psychanalytique, sociale, le tout se superposant parfois. Mais aussi, il faut trouver la large pâte sonore qui évite le clinquant ou le bruyant, notamment lors des massives interventions des cuivres, le tout sans oublier de ne pas forcer les chanteurs au-delà de limites raisonnables.
Tugan Sokhiev tient tous ces paramètres de façon magistrale, donnant de surcroît un vrai mouvement d'ensemble à la partition, une logique interne, dans une progression constante et inexorable vers la catastrophe finale. Le National répond avec un investissement total de tous les pupitres. Le Choeur de Radio France également, dont la partie est fondamentale comme dans tout opéra russe, presque autant que celle des solistes.
Une Katerina idéale
Chez ces derniers justement, aucune erreur de distribution, même si certains d'entre eux s'imposent avec plus d'éclat que d'autres. Ainsi, la très belle Solveig Kringelborn, chantant par coeur, parvient à donner une vie non seulement vocale mais théâtrale à Katerina, avec une vraie économie de geste, mais avec une force intérieure fabuleuse. La voix est idéale pour le rôle, menée avec beaucoup d'intelligence et de sensibilité. Elle sait notamment très bien caractériser les nuances contradictoires du caractère de Katerina, à la fois victime et coupable, tour à tour pathétique et exaspérante.
Le Sergueï de Vladimir Grishko, pourtant doté des moyens adéquats, paraît un peu trop monolithique face à cette tornade de sentiments et de sensualité. En revanche, le jeune baryton biélorusse Alexeï Tanovitski impressionne en Boris par la qualité d'un timbre bien noir, plus basse que baryton à cet égard, et par la qualité d'une émission stable et efficace. Tous les autres interprètes sont adéquats.
Ce concert, que son décalage par rapport à l'année Chostakovitch met mieux en valeur, prouve une fois de plus que la réussite d'un opéra, en spectacle ou en concert, est d'abord l'affaire d'un chef.
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