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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Récital de la soprano Anna Netrebko et du ténor Rolando Villazón dans le cadre des Grandes voix au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Grandes voix et gros trac
Très attendue pour ses débuts parisiens, la jeune soprano russe Anna Netrebko, grande star, icône incontournable depuis 2002 du festival de Salzbourg où elle fut successivement une Donna Anna, une Violetta, une Susanna d'exception, a laissé une impression mitigée, aux côtés d'un Rolando Villazón en forme moyenne. Promotion excessive ? Gros trac surtout !
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À maintes reprises, Altamusica a évoqué dans ses colonnes la rapide montée au firmament lyrique de l'étoile filante du festival de Salzbourg, à l'occasion de ses débuts dans la ville de Mozart en Donna Anna en 2002, de la reprise du même Don Giovanni en 2003, de sa Violetta déjà légendaire de 2005, et pour finir de sa Susanna de l'été passé. C'est dire si, précédée de pareille réputation, la jeune soprano Anna Netrebko a su faire piaffer d'impatience les mélomanes français, désireux depuis cinq ans de l'entendre dans la capitale.
D'ailleurs, un certain tout Paris que l'on ne voyait jadis qu'aux concerts de Karajan ou Pavarotti, s'est déplacé et complète la foule des habitués des Grandes voix au Théâtre des Champs-Élysées. Il faut dire aussi que comme à Salzbourg, cette superstar aux États-Unis, dans sa Russie natale et dans maints pays européens, parmi lesquels l'Autriche dont elle a adopté jusqu'à la nationalité, bénéficie de la promotion effrénée et forcenée de sa maison de disque, la Deutsche Grammophon, pour laquelle elle a signé de magnifiques enregistrements.
On attendait donc le miracle, la révélation, un voyage au firmament du chant, d'autant que celle que l'on surnomme déjà LA Netrebko était accompagnée de son partenaire d'élection, le très populaire Rolando Villazón, avec qui elle forme incontestablement à la scène un couple de rêve, idolâtré par les lyricophiles. Or, que voyons-nous et qu'entendons-nous réellement ce soir ?
Une Valse de Juliette Ă plein gosier
Une très ravissante jeune femme, élégante, souriante, mais tellement impressionnée par ces circonstances exceptionnelles qu'elle se jette d'emblée dans la Valse de Juliette de Gounod comme dans la Chevauchée des Walkyries, à plein gosier, comme s'il lui fallait franchir un mur de son que le discret Orchestre national de Belgique, fort bien tenu sous contrôle par Emmanuel Villaume, ne lui oppose nullement.
Avec un timbre rayonnant, parfois de belles nuances piano aussi, l'émission paraît forcée et dure, héritière d'une certaine école russe aujourd'hui bien tempérée par le contact permanent avec l'occident. On admire la puissance de la voix plus que son charme, et cette Juliette trop véhémente finit par craquer son ultime aigu, défaillance très brève et rattrapée avec une brillante dextérité, mais significative d'un climat qui jamais ne saura se détendre de la soirée.
Un autre ultime aigu carrément trop bas à la fin du Sempre libera de la Traviata, un trou de mémoire sympathique – mais trou de mémoire tout de même –, dans le bis consacré au Brindisi de la même Traviata, confirment bien que la chanteuse ne parvient pas à donner son meilleur. Cela dit, la Tebaldi elle-même n'avait-elle pas craqué le contre-ut de l'Air du Nil lors de sa première Aïda à Garnier ? On constate donc avec une certaine satisfaction que Paris impressionne toujours les plus grandes stars.
Engagement total
Pourtant, ce soir, le public, conquis d'avance, acclame tout sans distinction, le bon et le moins bon. Car du bon, Anna Netrebko en donne aussi beaucoup à entendre : le duo de Iolantha de Tchaïkovski, le Ebben non andro lontano de la Wally de Catalani. Voix grande, stable, lumineuse, souple, souffle vaste, rayonnement scénique et engagement total dans l'interprétation. Mais justement, cette voix qui débuta dans des rôles assez légers n'est-elle pas en pleine mutation, virant peu à peu au soprano lyrique, plus lourd, tourné vers les derniers Verdi et le vérisme plus que vers le bel canto pur et dur ? L'avenir le dira.
Le concert, enregistré et filmé, laisse l'occasion au couple de donner de charmants exemples de son entente et de sa complicité théâtrales. Rolando Villazón, dans ce programme intelligemment composé où alternent pages françaises, russes, espagnoles et italiennes, ne semble pas au mieux de sa forme, sans que pour autant l'essentiel de ses qualités de timbre, d'engagement passionné dans tout ce qu'il chante, soient remises en question. Il faut remercier aussi Emmanuel Villaume qui apporte un soutien sans faille à ses chanteurs.
À l'issue de cette soirée mitigée, il ne reste qu'à attendre patiemment les Capulets de Bellini programmés à l'Opéra de Paris la saison prochaine, où gageons-le, la Netrebko, à l'évident tempérament de feu et en bête de théâtre plus que de concert, sera plus à son aise.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 28/03/2007 Gérard MANNONI |
| Récital de la soprano Anna Netrebko et du ténor Rolando Villazón dans le cadre des Grandes voix au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Récital Anna Netrebko et Rolando Villazón
Orchestre national de Belgique
direction : Emmanuel Villaume | |
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