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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Fidelio de Beethoven mise en scène par Giuseppe Frigeni et sous la direction de Klaus Weise à l'Opéra de Bordeaux.
Pour un Florestan de rĂŞve
Klaus Florian Vogt (Florestan) et CĂ©cile Perrin (Leonore).
Le Grand-Théâtre de Bordeaux s'offre Fidelio tous les vingt ans. Curieusement, c'était déjà Klaus Weise qui était à la baguette dans la production des années 1980, avec Carla Pohe dans le rôle-titre. Revoici le maestro allemand au pupitre pour une nouvelle production qui vaut avant tout pour la révélation du magnifique Florestan de Klaus Florian Vogt.
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L'image finale sur le fond de scène est un œil immense, celui d'Étienne Boulée, architecte-décorateur de l'époque des Lumières. Cet œil clos sur le maëlstrom du monde se referme sur une passion intime et universelle, celle d'une femme amoureuse de son mari au point de tout risquer pour le sauver. C'est la seule référence au récit de l'époque révolutionnaire dont Beethoven a tiré son Fidelio.
Curieux que l'Italien Giuseppe Frigeni, épigone de Bob Wilson, ait choisi cette image alors que sa mise en scène divague dans l'intemporalité, entre boiseries XVIIIe et cage cubique à barreaux. Les personnages, d'entrée de jeu tous en scène, vont chercher dans un coffre les vêtements sinistres dont ils s'accoutrent, puis commencent à marcher à reculons.
Mouvements arrêtés, gestuelle lentissime, Frigeni a emprunté l'essentiel de son vocabulaire au metteur en scène américain, sans en avoir le génie. Difficile dans ces circonstances d'imposer au chef et à l'orchestre ces temps d'arrêt ingérables, instants de vide sapant l'énergie dramatique et lyrique du chef-d'oeuvre beethovénien. Car loin du drame à l'antique, Fidelio se situe dans le réalisme bourgeois, dans les idéaux de l'après-1789.
En cette soirée de première, l'orchestre reste en-deçà des possibilités qu'on lui connaît, comme gêné par la maîtrise du temps imposée par la mise en scène. Klaus Weise a beau agiter les manchettes blanches dépassant de son frac, l'énergie dramatique ne suit pas. Gageons qu'au fil des représentations, la formation bordelaise saura reprendre ses esprits.
Cécile Perrin, figée dans un costume d'homme guère seyant, est une Leonore trop nerveuse, manquant à l'évidence d'ampleur et d'émission aussi difficile dans le médium que dans les aigus, et de surcroît sans ce charisme, cette passion intérieure dont est imprégné le rôle-titre.
La magie qui manque à cette incarnation tombe comme du ciel dès la première image du second acte, à l'apparition du corps replié de Florestan. Impérial de stature, immense, regard halluciné, Klaus Florian Vogt lance un Gott ! tétanisant, qui plonge dans l'effroi, l'angoisse, et tient en haleine la salle entière jusqu'à la fin de son air. Un personnage détonnant que ce jeune ténor qui fait de plus en plus parler de soi. Dans la vie quotidienne, on le voit arriver en chemisette rayée, cheveux longs, tel quelque écolo en vadrouille.
Premier cor de la Philharmonie de Hambourg, il est devenu chanteur parce qu'il s'impatientait à rester assis en fosse. Il s'est alors inscrit à des cours de chant. Puis chemin faisant, James Levine à New York, Jeffrey Tate à Naples, James Conlon à Los Angeles l'ont propulsé héros wagnérien. Il est d'une certaine manière le Lohengrin idéal, format juste assez large, jamais mastodonte, mais surtout physique et timbre idéaux des premiers héros wagnériens, avec cet air juvénile et adolescent, et une lumière tantôt immatérielle, tantôt irradiante dans la voix, qu'on n'imaginait plus possible à l'heure des Heldentenor vagissants, et qui font merveille dans la partie si haut perchée et endurante de Florestan.
Une révélation, qui fait oublier le reste du plateau, et qui vaut à elle seule le déplacement au Grand-Théâtre de Bordeaux.
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