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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Première au Théâtre du Châtelet de Paris de la Carmen de Bizet mise en scène par Martin Kušej, sous la direction de Marc Minkowski.
C'est Carmen qu'on assassine
Sylvie Brunet (Carmen)
Aberrante production au Théâtre du Châtelet du chef-d'oeuvre de Bizet, dont la force de la direction musicale résiste autant que faire se peut à la mise en scène calamiteuse, laide et stupide de Martin Kušej et à une distribution vocale très inégale grâce à la magistrale approche de Marc Minkowski et de ses Musiciens du Louvre.
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On se demande si la production initialement prévue par le Châtelet, confiée à Sandrine Anglade et hâtivement remplacée par celle-ci, pouvait être pire et comment Martin Kušej peut s'être à ce point fourvoyé après avoir signé une si passionnante version de Lady Macbeth de Chostakovitch à l'Opéra d'Amsterdam. Certes, l'ouvrage est tout autre et l'on sait également que sa vision de Don Giovanni au festival de Salzbourg est loin d'avoir été plébiscitée.
Carmen, il est vrai, en a vu d'autres, des piètres exhibitions tauromachiques d'Arias à l'Opéra Bastille à l'incarnation de Lucia Valentini Terrani en caissière de supermarché peroxydée comme Marilyn, face au Don José de Neil Schicoff en flic à moto et à lunettes et à un Escamillo boxeur de couleur au festival de Macerata. Mais il y eut aussi les triomphes de la mythique production Rouleau avec l'immortelle Jane Rhodes, ou tout récemment l'excellente approche, moderne sans délire exhibitionniste, de Nicolas Joel au Capitole de Toulouse. Œuvre difficile oui, mais pas forcément impossible à représenter pour autant.
Ici, Martin Kušej accumule les invraisemblances inutiles, les vulgarités les plus faciles et les plus grasses, les idées absurdes et initiatives stupides. Un décor de béton monolithique – une constante chez l'Autrichien – et laid lui pose de multiples problèmes qu'il ne résout jamais bien, sauf, dans une certaine mesure, à la scène finale, quand précisément il n'y a plus de décor.
Citons aussi un goût prononcé pour les dames en petites culottes et en porte-jarretelles – réminiscence salzbourgeoise s'il en est – à qui l'on met la main aux fesses en permanence et qui se font sans cesse culbuter partout. L'Espagne revue par la finesse des quartiers chauds de Hambourg !
Refuser certains aspects figuratifs de l'anecdote peut être une option, sauf quand on a besoin vraiment des choeurs sur le plateau. Alors, on peut les voir remonter à quatre pattes la pente d'un toit multifonction et pas beau du tout, tandis qu'un autre groupe, femmes en sous vêtements et hommes en caleçons, s'installe dans un coin, comme à Paris Plage. Que font les différents protagonistes pendant le joyeux choeur du troisième acte Les douaniers c'est notre affaire ?
Entre deux murs, de béton toujours, apparaît un foule agenouillée portant des cierges, style Nuit des morts vivants, tandis que, sur un autel renversé, Frasquita et Mercédès forniquent avec le Remendado et le Dancaïre et que Carmen, debout sur ledit autel, se coiffe d'un voile bleu comme la Vierge de Lourdes. On croit rêver
Mais ce n'est pas tout. Outre la multiplication des petites culottes, notamment dans l'acte de Lilas Pastia – il fait chaud en Espagne, mais quand même ! – on assiste médusé à une multiplication des morts. Dès la première scène, on exécute déjà Don José, puis ce dernier tue Zuniga pendant la bagarre chez Lilas Pastia et au dernier acte, alors que Don José vient de poignarder Carmen et avant qu'il ne soit à nouveau fusillé en direct, c'est le cadavre d'Escamillo que l'on voit passer, porté par ses quadrilles. Nous ne sommes plus très loin, cette fois, de Massacre à la tronçonneuse. Tout cela est grotesque et révèle une incompréhension totale de Mérimée comme de Bizet, comme de l'Espagne et de la civilisation méditerranéenne en général. Un hors sujet de bout en bout, avec beaucoup de prétention et une vulgarité graveleuse absolument viscérale.
Reste la musique. Côté voix, les satisfactions sont rares. Hormis la remarquable Micaëla de Genia Kühmeier, voix jeune, fraîche, bien en place, stable, belle de couleur et parfaitement menée, et le très adéquat Zuniga de François Lis, le plateau laisse à désirer. Le jeune Nikolaï Schukoff ne démérite pas vraiment, chantant plutôt bien avec une voix en dessous des exigences du rôle, et campe avec intelligence un Don José freluquet, craintif, un de ces complexés dont la peur fait les grands criminels.
Mais face à lui se dresse l'impossible Carmen de Sylvie Brunet, choucroutée et fringuée comme une petite bourgeoise un samedi de marché, aussi sensuelle d'allure et de comportement qu'une colonne Maurice et plus proche d'une matrone que d'une irrésistible séductrice. Voix rude, brutale, bien qu'exactement à la tessiture du rôle, prononçant bien mais sans le moindre charme ni la moindre sensualité, cette Carmen sans dimension maléfique semble en décalage par rapport aux autres personnages et au contexte, comme égarée ici, encore plus hors de propos que l'infortunée Micaëla, laquelle intervient quand on ne lui demande rien, notamment pendant la bagarre des femmes du I. Escamillo a une vilaine voix, sans les aigus ni les graves adéquats, et chante souvent faux. Désespérant !
Reste heureusement la magistrale exécution de l'orchestre et des choeurs menée avec un instinct, une clairvoyance et une justesse de jugement formidables par Marc Minkowski. Encore une fois, le chef français triomphe là où on ne l'attendait pas forcément. Tout sonne beau et vrai dans sa lecture : l'équilibre des timbres, les accents souvent inhabituels mais toujours exacts et signifiants, les tempi, les choix dynamiques, les couleurs. On a rarement entendu pareille justice rendue à la somptueuse partition de Bizet.
Une consolation ? Certainement, mais aussi bien entendu le regret qu'elle ne soit pas au service d'un spectacle plus digne de l'oeuvre.
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Théatre du Châtelet, Paris Le 12/05/2007 Gérard MANNONI |
| Première au Théâtre du Châtelet de Paris de la Carmen de Bizet mise en scène par Martin Kušej, sous la direction de Marc Minkowski. | Georges Bizet (1822-1875)
Carmen, opéra-comique en quatre actes (1875)
Choeur d'enfants Sotto Voce
Choeur des Musiciens du Louvre-Grenoble
Les Musiciens du Louvre-Grenoble
direction : Marc Minkowski
mise en scène : Martin Kušej
décors : Jens Kilian
costumes : Heidi Hackl
Ă©clairages : Reinhard Traub
préparation du choeur d'enfants : Scott Alan Prouty
Avec :
Sylvie Brunet (Carmen), Nikolaï Schukoff (Don José), Genia Kühmeier (Micaëla), Teddy Tahu Rhodes (Escamillo), Gaële Le Roi (Frasquita), Nora Sourouzian (Mercédès), Alain Gabriel (Le Dancaïre), François Piolino (Le Remendado), Boris Grappe (Moralès), François Lis (Zuniga), Micky Dedaj (Lilas Pastia). | |
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