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CRITIQUES DE CONCERTS |
22 novembre 2024 |
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Nouvelle production de Pirame et Thisbé de Rebel et Francoeur mise en scène par Mariame Clément et sous la direction de Daniel Cuiller à Angers Nantes Opéra.
Miniature tragique
Pour sa recréation par Stradivaria, Pirame et Thisbé de François Rebel et François Francoeur ne pouvait bénéficier d'un plus bel écrin que le Théâtre Graslin de Nantes, où la mise en scène de Mariame Clément et une distribution vocale d'une idéale jeunesse épousent avec raffinement les contours sensibles de ce miroir des goûts des Lumières.
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Lights, camera, action !
Vigueur et courants d’air
En passant par la mort
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Les destinées musicales de François Rebel et François Francoeur, fils de musiciens illustres, furent intimement liées jusqu'à ce que la Querelle des Bouffons mettent fin à leur direction bicéphale de l'Opéra, dix ans après qu'ils en eurent obtenu la licence pour trente ans. Première tragédie lyrique commune, Pirame et Thisbé, créé le 15 octobre 1726 et plusieurs fois remanié jusqu'à la version de 1771, éditée en 1779, et considérée comme définitive par Francoeur, reflète la transformation des goûts du siècle des Lumières, dès lors que la sensibilité rousseauiste s'immisce dans les passions lullystes.
Pour se plier aux lois du genre – avec prologue, divertissements, et monstres obligés –, le librettiste Jean-Louis Ignace de la Serre a dû enrober quatre actes durant une fable qui, chez Ovide, tient en une centaine de vers, en ajoutant trois personnages qui tissent la toile de la jalousie et de la vengeance fatale aux jeunes amants : Ninus, roi de Babylone, épris de Thisbé au grand dam de la princesse Zoraïde, qui attirera sur son fiancé inconstant les foudres de son père, le magicien Zoroastre. Par une belle simplicité que la réforme de Gluck érigera en principe, le cinquième acte rompt totalement avec la convention, et s'achève sur un récitatif sec, imposant une émotion nue.
La mise en scène de Mariame Clément épouse cette épure progressive avec invention et raffinement, mais évite l'écueil de la reconstitution en désamorçant l'esthétisme du décor de Julia Hansen, qui intègre jusqu'aux éléments ornementaux de la miniature persane pour circonscrire l'action des quatre premiers actes à l'espace de la page, grâce à une appropriation ironique des codes du théâtre baroque, du prologue, où Vénus et la Gloire s'invectivent depuis leurs loges, telles deux abonnées d'un certain âge réfractaires à la tragédie lyrique, à l'apparition d'un monstre de carton échappé du théâtre d'ombre balinais.
Dépouillé de ces déguisements chatoyants, le cinquième acte renoue avec les gestes de jeunes gens d'aujourd'hui, de par cette familière distance déjà mise en oeuvre par la metteuse en scène dans sa Belle Hélène à l'Opéra du Rhin. Le langage de la tragédie lyrique avait-il jamais paru aussi naturel, aussi simple, aussi proche que durant l'attente de Thisbé au pied d'un arbre mort, reflet du mûrier de la légende originelle ?
Judith Van Wanroij y déploie son timbre pulpeux et chaud avec une souplesse, un galbe à l'opposé de la rigidité par laquelle certains figent les récitatifs, qu'elle sert avec une diction finement ouvragée, magnifiée par un art subtil de la double consonne.
Un Pirame qui coule de source
Chez le Pirame de Thomas Dolié, au baryton à peine sorti de l'adolescence, les mots et la voix coulent de source, comme si la déclamation lui était quotidienne, formant un contraste idéal avec le Ninus de Jeffrey Thompson, que ses facilités conduisent parfois à déborder le cadre stylistique, mais dont la ligne tour à tour hystérique et rêveuse révèle les ambiguïtés d'un caractère qui doit davantage à l'effemminato de l'opéra vénitien qu'à l'héroïsme tendre de la haute-contre à la française.
Du personnage peu gratifiant de la princesse Zoraïde, Katia Velletaz sait tirer parti grâce à sa clarté d'élocution, et si l'autorité vient parfois à lui manquer, faute de grave, sa robe éventail y supplée dans l'invocation à Zoroastre, auquel Jean Teitgen prête sa vigoureuse basse de velours.
Recruté pour l'occasion, le choeur de l'Académie baroque est d'une belle verdeur, mais le geste souvent instable de Daniel Cuiller, aussi artiste soit-il dans le soin qu'il apporte à la variété de la phrase, n'évite pas les décalages, d'autant que pour son baptême de la fosse, l'ensemble Stradivaria apparaît en ordre dispersé durant la première partie, accumulant les incertitudes, avant de se rassembler au troisième acte pour dévoiler ses arêtes les plus vives dans cet écrin acoustique idéal qu'est le Théâtre Graslin.
Les 29, 31 mai et 1er juin à Nantes.
Les 8, 10 et 12 juin à Angers.
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