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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Version de concert de Tancredi de Rossini sous la direction de René Jacobs à la salle Pleyel, Paris.
Une révolution rossinienne
On attendait beaucoup de ce Tancredi rossinien par René Jacobs en version de concert à la salle Pleyel, tant le chef belge nous a habitués à des remises en cause radicales des coutumes lyriques. Bilan mitigé à l'arrivée, du fait d'une distribution valeureuse mais parfois à la peine, Bernarda Fink en tête.
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Fort de ses succès mozartiens – une trilogie Da Ponte et une Clémence de Titus pour le moins dépoussiérées tant vocalement qu'au niveau instrumental –, René Jacobs affiche clairement des intentions similaires dans Rossini, un compositeur encore plus victime des mauvaises manies issues de traditions interprétatives certes illustres, mais pas toujours soucieuses d'exactitude historique – nonobstant les avancées dues à Alberto Zedda.
Le choix de Tancredi, ouvrage de la période seria du Cygne de Pesaro, abonde en ce sens. Les instruments d'époque de l'Orchestre des Champs-Élysées, à l'heure actuelle une des phalanges les plus accomplies en matière d'interprétation philologique des répertoires classique et romantique, annoncent, eux aussi, un bouleversement des options vocales, la transparence des cordes en boyau ayant pour corollaire attendu une plus grande sveltesse – irriguant jusqu'à la tenue du chant soliste.
Et dès l'ouverture, le fruité des bois ou la chaleur des cuivres font merveille, en des alliages de timbre de toute beauté, le chef gantois soulignant avec justesse tout ce que Rossini doit à Mozart ou à certains de ses prédécesseurs romantiques. De même, on ne peut qu'apprécier la science avec laquelle il anime les crescendi si typiques du compositeur – sans accelerando intempestif qui plus est.
L'orchestre rossinien s'anime soudainement d'une vie qu'on a eu tendance à largement sous-estimer par le passé, conférant du même coup au récitatif une vivacité encore rehaussée par la présence d'un pianoforte à la volubilité tutoyant sans vergogne la sonate. En soi, ce raffinement instrumental mérite de vives louanges mais il tend, globalement, à diluer un peu la théâtralité attendue de la partition, d'autant que la distribution n'est pas sans poser certains problèmes.
De par les options musicales du chef, on se doit d'écarter toute comparaison inutile avec les Marilyn Horne et Montserrat Caballé, gloires d'une époque révolue où l'interprétation rossinienne ne s'encombrait pas de scrupules philologiques, privilégiant un chant musclé et impressionnant. René Jacobs se place au contraire dans la grande tradition du chant baroque, idéal que Rossini affirmait ouvertement prendre comme modèle.
Une distribution qui laisse sur sa faim
Ici, la tenue générale du chant soliste est patente, écartant tout histrionisme malvenu. Mais même dans cette perspective, on reste sur sa faim. Le seul à véritablement répondre aux exigences de Rossini est Lawrence Brownlee, voix moelleuse parfaitement projetée, agilité et vaillance unis pour un Argirio mémorable. Si la basse sonore de Federico Sacchi (Orbrazzano) est encore un peu verte, elle laisse un meilleur souvenir que le mezzo trémulant d'Elena Belfiore (Isaura) ou même le soprano pincé d'Anna Chierichetti (Roggiero).
Rosemary Joshua est ravissante en Amenaide, affrontant crânement les pyrotechnies du rôle mais manquant parfois de mordant dans les accents. Très retenue au I – un Di tanti palpiti précautionneux –, Bernarda Fink se libère au II mais ne peut masquer certains insuffisances dans le grave, voire le médium. Plus curieusement, l'art de diseuse si célébrée de la mezzo lui fait défaut dans des récitatifs qu'on aurait aimés plus acérés. À la décharge des chanteurs, force est de reconnaître que la version concert, en plaçant l'orchestre derrière eux, les met en concurrence notamment avec des pupitres de vents dont la limpidité n'exclut pas une certaine présence sonore.
Bilan mitigé donc pour cette révolution rossinienne tant attendue : avec des troupes vocales plus affûtées, René Jacobs saura sans doute, dans la futur, imposer une révision nécessaire de la tradition rossinienne.
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