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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Pelléas et Mélisande de Debussy mise en scène par Jean-Louis Martinoty et sous la direction de Bernard Haitink au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Noir c'est noir !
Jean-François Lapointe (Pelléas) et Madgalena Kožená (Mélisande).
Dernière production lyrique de la saison du TCE, le Pelléas et Mélisande tardivement confié à Jean-Louis Martinoty, désymbolisé, asséché, peine à laisser une empreinte forte. Bien plus que par un plateau médiocre, l'oreille est constamment sollicitée par la direction proprement miraculeuse de Bernard Haitink dans sa plus belle maturité.
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A-t-il manqué de temps pour monter son premier Pelléas ? Homme de théâtre lyrique érudit comme il en est peu, Jean-Louis Martinoty a dû succéder dans la précipitation à André Engel initialement prévu pour mettre en scène le Pelléas de Haitink au TCE. Avec le concours de son fidèle décorateur Hans Schavernoch, il s'attache à désymboliser, à psychologiser le monde onirique de Maeterlinck, au profit d'une narration linéaire, d'une intrigue plus bourgeoise, avec maintes références picturales – Golaud regardant les nuages au loin, tel le voyageur de Caspar Friedrich.
Aussi esthétique que puisse être la scénographie et malgré l'omniprésence du noir, on ne ressent à aucun moment l'oppression du royaume d'Allemonde, l'humidité des murs poreux du château, la touffeur de la forêt. Le décor, asséché, non atmosphérique, cautérisé, ne rend guère justice à la profusion de nature de Maeterlinck – les multiples tulles aux motifs végétaux n'y changent rien –, et trop souvent les changements de tableaux occasionnent grincements et autres craquements parasites.
Restent une direction d'acteurs soignée et quelques images fortes, comme le lever de rideau sur la tour, dévoilant la chevelure de racines d'un tronc noueux en une cascade ligneuse d'un magnifique effet, ou la scène finale, quand Mélisande vient mourir au bord du puits où gît le cadavre de Pelléas. Un travail scénique professionnel mais sans doute par trop prosaïque et raisonné, qui passe à côté du goût de l'informel, tout comme le plateau à côté du style de Debussy.
Laurent Naouri aurait tout pour être Golaud : le timbre, noir et pourtant clairement projeté, la longueur de la voix, et surtout une diction limpide. Seulement, le vibrato encombrant à la moindre tenue, les soufflets systématiques sur chaque note brisant toute ligne de chant, mais aussi l'uniformité de caractère du baryton, qui renouvelle ce soir les éclats de colère de son Jupin d'Orphée aux Enfers, ruinent une incarnation qui aurait pu être grande.
De même, Jean-François Lapointe, baryton certainement pas Martin, reste cantonné dans un Helden-Pelléas d'une rare brutalité. L'engorgement, l'absence de jeunesse et de lumière dans le timbre – rappelons que le rôle avait été conçu au départ pour un ténor –, cette émission musclée sont ici inadaptés. Les qualités d'élocution ne sauraient faire oublier quelques effets particulièrement disgracieux, et un « je t'aime ! » dopé à la testostérone, à mille lieues de l'esprit anti-opératique de Debussy.
Parfois curieusement inintelligible, au grand dam d'un public de cacochymes qui toussote, crachote et râle après l'absence de surtitrage – une absence dont on pense qu'elle pourrait être salutaire si elle était généralisée pour les ouvrages français, tant le phénomène est aujourd'hui fréquent –, Madgalena Kožená est une Mélisande bien pâle, privée de legato, sans subtilité – une chanson de la tour dépourvue de nuances –, qui trouve des accents touchants de simplicité seulement au dernier acte.
Sans vraie homogénéité, Marie-Nicole Lemieux peine à donner une leçon de déclamation dans la lecture de la lettre de Geneviève. Gregory Reinhart, timbre ancestral parfaitement adapté au vieillard Arkel, s'avère souvent exotique d'accent et affiche une vocalité de plus en plus poussive, avec de surcroît un petit côté pas aimable étranger à l'inoffensif patriarche. Enfin, Amel Brahim-Djelloul, parfaitement crédible en jeune garçon, dispense un joli filet de voix pour Yniold, mais envisage l'air des moutons sans le moindre arrière-plan.
La direction prodigieuse de Bernard Haitink
C'est donc dans la fosse exiguë du TCE qu'il faut chercher l'attrait majeur de cette production, où Bernard Haitink réitère à la tête d'un ONF galvanisé le prodige de la version de concert de 2000 passée à la postérité par le disque. De tactus à la fois souple et imperturbable, très mesurée, sa battue opère des miracles de raffinement, sans jamais la moindre afféterie. Une direction transparente, analytique et détaillée mais jamais froide, un Debussy qui a l'amour triste, toujours paré de sublimes couleurs crépusculaires.
Au tomber de rideau, les musiciens attendent patiemment pour ovationner le chef venu saluer sur scène, signe d'un état de grâce particulier qui fait tout le sel de ce Pelléas au goût d'inachevé.
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