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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Don Giovanni de Mozart mise en scène par Jean-Paul Scarpitta et sous la direction d'Hervé Niquet au festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon.
Radio France et Montpellier 2007 :
Grisâtre Don Giovanni
Nicolas Courjal (Masetto), Henk Neven (Leporello), Franco Pomponi (Don Giovanni) et Isabelle Cals (Donna Elvira).
Don Giovanni comme premier Mozart en fosse n'est pas le moindre des défis. Hervé Niquet et son Concert Spirituel en ont fait l'expérience pour le moins douloureuse au Festival de Radio France et Montpellier, sans plus de secours dans une distribution insuffisante que dans la mise en scène fantasmatique mais bien peu théâtrale de Jean-Paul Scarpitta.
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D'emblée, Jean-Paul Scarpitta annonce la couleur, ou plutôt l'absence de couleurs : ciel nuageux sur fond gris, son Don Giovanni sera fantasmagorique, parfois fantasmatique, mais d'une théâtralité souvent absente. Car ce spécialiste de la grande fresque déclamatoire à mi-chemin entre mystère, tragédie et oratorio, aborde le jeu de masques absolument XVIIIe de Mozart et Da Ponte en plasticien, sculptant l'obscurité, stylisant par ses costumes au plus près des corps – la sexualité exacerbée de Don Giovanni – les contours psychologiques, jusqu'à évacuer, bien qu'il s'en défende, les incessantes juxtapositions entre sérieux et bouffe.
Ainsi, les tableaux qu'il agence sont d'une indéniable beauté – a-t-on jamais vu scène du cimetière plus suggestive, peuplée d'ombres fantomatiques ? –, mais cet esthétisme constant les fige, les glace, les romantise même, sans échapper, particulièrement dans la scène du souper, toute en lustre et sombres reflets, à la commune « loungitude » des restaurants à la mode.
Ce ne sont plus que visions d'un Don Giovanni attirant les créatures qu'il courtise dans un univers fantasmé à l'extrême, comme projetées dans la lumière de sa séduction physique, hoffmanniennes en somme, et de ce fait peu en phase avec une exécution sur instruments d'époque.
D'autant que pour son premier Mozart en fosse, le Concert Spirituel frôle plus d'une fois la caricature du genre – cordes d'un tranchant grisâtre, cuivres en déroute, et surtout des bois d'une aigreur que l'on croyait abolie depuis l'époque pionnière, la palme revenant à des hautbois désespérément débraillés. À leur décharge, Hervé Niquet peine à imposer une cohérence, tant en matière de tempi que de couleurs, sa direction par à -coups occasionnant de fréquents décalages entre la fosse et le plateau, et peut-être plus encore au sein même de l'orchestre. Totalement dilué dans l'acoustique peu propice de l'Opéra Comédie, le pianoforte d'une volubilité alanguie de Sébastien d'Hérin ajoute à la confusion dans des récitatifs sans vie.
Il est vrai que les chanteurs sont, pour la plupart, dépassés par les exigences de l'oeuvre. Le joli brin de voix d'Anna Kasyan ne sauve pas sa Zerlina de la mièvrerie, qui plus est embourgeoisée par son costume. Voix de Zerlina, mais certainement pas d'Elvira, Isabelle Cals fait l'impasse sur les consonnes dès que l'aigu se profile, laborieux et trémulant, sans que son mezzo de palette bien limitée ne se justifie dans le bas de la tessiture.
Zerlina peut-être plus naturelle encore que cette dernière, Raffaella Milanesi, actrice et musicienne toujours habitée, jette toutes ses forces dans la bataille qui ne peut que l'opposer à Donna Anna. Autant la soprano italienne parvenait à faire illusion en Elettra d'Idomeneo l'été dernier au festival de Beaune, autant elle paraît ici à bout de timbre et de tessiture, contrainte à élargir son émission jusqu'à l'effilochage, la défiguration.
D'une raideur de plus en plus marquée au fil de l'opéra, Cyril Auvity évite de justesse l'autostrangulation sur les aigus d'Ottavio, ne parvenant jamais à dépasser le stade d'intentions musicales louables, mais entachées de voyelles d'une platitude extrême. Et si les verdeurs de Nicolas Courjal siéent à Masetto, celles de Petri Lindroos atténuent quelque peu l'autorité d'un Commandeur pourtant tonnant.
Le sex-appeal vocal de Franco Pomponi
D'une projection limitée, le Leporello d'Henk Neven s'effacerait à force de grise mine s'il n'était constamment en froid avec la mesure. Seul Franco Pomponi déploie le sex-appeal vocal – jusqu'à suspendre sur un fil les deux strophes de sa sérénade –, et sans doute plus encore physique, qui convient à Don Giovanni, mais la médiocrité de l'entourage ne l'incite ni à assouplir, ni à éclaircir un instrument qui tend à se comprimer dans la gorge.
Avant la reprise de cette production en avril prochain, Jean-Paul Scarpitta et Hervé Niquet, artistes en résidence, ouvriront la saison 2007-2008 de l'Opéra national de Montpellier avec la Flûte enchantée : il ne reste qu'à souhaiter que l'ultime opéra de Mozart et la présence en fosse de l'Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon seront plus propices à la rencontre de leurs talents.
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