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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production d'Eugène Onéguine de Tchaïkovski mise en scène par Andrea Breth et sous la direction de Daniel Barenboïm au festival de Salzbourg 2007.
Salzbourg 2007 (3) :
Sombre Onéguine
Peter Mattei (Onéguine) et Anna Samuil (Tatiana).
Pour sa première programmation au festival de Salzbourg, Eugène Onéguine aura été paré de bien sinistres oripeaux scéniques, dans la production très sombre mais parfaitement réalisée d'Andrea Breth. Si la distribution demeure un cran en dessous de ce que l'on est en droit d'attendre du plus prestigieux des festivals lyriques, l'orchestre est tout simplement miraculeux.
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Succédant à Peter Ruzicka à la tête du festival de Salzbourg, le metteur en scène allemand Jürgen Flimm a annoncé d'emblée la couleur dans sa première programmation : diète mozartienne pour 2007 après la grande bouffe de Mozart 22, cap sur des ouvrages rarement ou jamais donnés dans la cité autrichienne.
Excellente idée qu'Eugène Onéguine, en effet inédit dans la manifestation et d'une manière générale trop rare à la scène. Pour servir cette intrigue bourgeoise typiquement XIXe, touchante par les contradictions, la volonté de liberté et l'intense vie intérieure de son héroïne Tatiana, la metteur en scène Andrea Breth a joué la carte de la transposition un siècle plus tard, dans des années 1970 au goût vestimentaire décidément à la mode sur les scènes lyriques, en désembourgeoisant tant que faire se peut l'action – la tonte de crâne des paysans à la chaîne en scène d'ouverture ; le pas de danse très Michael Jackson d'un serveur lors de la Polonaise –, non sans en dénaturer, voire en glacer, une partie des sentiments.
Surtout, la scénographie, dans les tons marrons-gris, aux éclairages économes, distille une bonne dose de désillusion, tout comme ce parquet de bal détrempé qui laisse entrevoir des relations orageuses. L'univers d'Eugène Onéguine n'est certainement pas aussi constamment sombre, mais, comme celui d'une certaine littérature romanesque romantique, également traversé d'éclairs de lumière, de soudains élans d'espoir, de bouffées d'enthousiasme.
Cela dit, un travail d'acteurs précis, de probantes solutions de continuité dramatique – le plateau tournant qui fait le lien nécessaire entre les « scènes lyriques » – comme d'unité dramaturgique – le lever de rideau de chaque acte sur Onéguine, de dos, la tête rentrée dans son chapeau, affalé dans une chaise en regardant sur petit écran le défilement de rails et caténaires d'une caméra de contrôle ferroviaire – laissent une impression d'aboutissement.
On sera plus partagé sur le personnage de la vieille nourrice, voûtée et ratatinée jusqu'au ridicule, curieuse comme une pie au moment d'épier les amants, puis d'un pathétique presque glauque quand, après avoir remis à un petit garçon creusant le sol la lettre de Tatiana, comme au terme de sa mission sur terre, elle se couche dans le trou pour y mourir. On restera également perplexe devant une Larina délurée, souvent vulgaire, affublée d'une blouse tout droit sortie des Deschiens, tout comme les costumes du choeur, d'une laideur Europe de l'est très assumée.
Très investi dans cette mise en scène forte et sage à la fois, le plateau évolue dans l'immensité du Grosses Festspielhaus avec plus ou moins de bonheur. Anna Samuil est une Tatiana intense, expressive et musicienne mais handicapée par un timbre sans grâce et un vibrato encombrant, qui la privent notamment d'une véritable mezza voce, face à l'Olga du plus somptueux matériau imaginable d'Ekaterina Gubanova.
Un peu irrégulier de troisième registre en début de soirée, le Lenski de Joseph Kaiser affiche dans son air une plénitude d'aigu, une morbidezza, un emportement contrôlé de la plus belle maîtrise. L'Onéguine de Peter Mattei, d'une incontestable présence, d'une ambiguïté crédible mais un peu juste d'ampleur, d'émission souvent trémulante, en rade d'harmoniques et souvent fâché avec la justesse, peine en revanche à laisser une véritable empreinte.
Une Larina un peu verte, un Triquet « so not french », une nourrice en véritable mort-vivant vocal et le somptueux Grémine de Ferruccio Furlanetto – l'ampleur, le creux, la conduite des phrases – complètent un tableau contrasté.
Nostalgie crépusculaire
Le grand triomphateur de la soirée est finalement le Philharmonique de Vienne, tout simplement prodigieux, d'une palette de couleurs inouïe, d'une nostalgie crépusculaire à tirer des larmes – le soyeux, les nuances infinitésimales des cordes, la mélancolie du hautbois de Martin Gabriel, le souffle du bout des lèvres de la flûte, l'immatérialité de la harpe.
Emmenée par un Daniel Barenboïm fidèle à lui-même, c'est-à -dire cyclothymique, tantôt inanimé au fond de son fauteuil, tantôt battant la mesure d'un geste cyclopéen, d'une générosité, d'un élan dans la lenteur mais aussi d'une indécrottable imprécision rythmique entraînant des décalages avec un choeur par ailleurs remarquable, la formation autrichienne aura l'honneur de saluer sur scène, cadeau d'un chef qui sait pertinemment la part de réussite à lui attribuer.
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Großes Festspielhaus, Salzburg Le 19/08/2007 Yannick MILLON |
| Nouvelle production d'Eugène Onéguine de Tchaïkovski mise en scène par Andrea Breth et sous la direction de Daniel Barenboïm au festival de Salzbourg 2007. | Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Eugène Onéguine, scènes lyriques en trois actes (1879)
Livret du compositeur et de Constantin Chilkovski d'après le roman en vers de Pouchkine.
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Daniel Barenboïm
mise en scène : Andrea Breth
décors : Martin Zehetgruber
costumes : Silke Willrett & Marc Weeger
éclairages : Friedrich Rom
préparation des choeurs : Thomas Lang
Avec :
Renée Morloc (Larina), Anna Samuil (Tatiana), Ekaterina Gubanova (Olga), Emma Sarkissian (Filippievna), Peter Mattei (Onéguine), Joseph Kaiser (Lenski), Ferruccio Furlanetto (le Prince Grémine), Ryland Davies (Monsieur Triquet), Georg Nigl (Saretski), Sergueï Kovnir (le Capitaine). | |
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