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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Freischütz de Weber mise en scène par Falk Richter et sous la direction de Markus Stenz au festival de Salzbourg 2007.
Salzbourg 2007 (5) :
Weber dans les affres contemporaines
Absent de la ville de Mozart depuis la mythique production Rennert-Furtwängler de 1954, le Freischütz fait son grand retour au festival de Salzbourg. Un come-back du reste plutôt réussi, entre la mise en scène contemporaine décapante de Falk Richter, une distribution de très belle tenue et la direction cinglante de Markus Stenz.
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Emblème du premier romantisme allemand, avec ses chasseurs, sa forêt, sa Gorge aux loups qui ont tant fasciné le public dès la création triomphale de 1821, le Freischütz de Weber fait un retour fracassant à Salzbourg d'où il était absent depuis plus d'un demi-siècle. Fracassant avant tout en raison de la mise en scène du débutant Falk Richter, qui voit dans l'épreuve de tir le rituel initiatique, l'examen de passage que la jeunesse d'aujourd'hui doit subir pour accéder à l'âge adulte, à une époque où le danger extérieur est omniprésent.
D'où un groupe d'ados attardés en pique-nique party dans une forêt-bunker servant de champ de tir, d'où l'examen de Max pour intégrer un groupe armé clandestin, d'où aussi la présence, pendant toute l'ouverture, d'un énorme symbole nucléaire et la question de l'utilisation d'uranium dans les balles magiques de Samiel. Le malin est d'ailleurs ubiquiste, tantôt sous sa forme propre, réelle ou subliminale – extraordinaire Ignaz Kirchner –, tantôt personnifié par deux jeunes suppôts tentateurs, dont une copie d'Alex DeLarge, le héros d'Orange mécanique.
En découle chemin faisant un pamphlet contre la société contemporaine et son goût du normalisé – l'amour menant au mariage menant aux cadeaux de mariage –, de l'utilisation de la peur pour justifier la dérive sécuritaire des états, de la culture de masse – les incantations sataniques de Kaspar en anglais ; le choeur des chasseurs lancé comme un tube d'émission de variété ; et le public, bien entendu, qui n'y entend rien en applaudissant machinalement, de la manière que stigmatise justement le metteur en scène.
La conclusion de Richter est implacable : l'Ermite a des airs de gourou de société secrète, deus ex machina qui d'une phrase embobine tout le monde, jusqu'aux suppôts de Samiel convertis à la foi chrétienne, qui taguent alors en lettres de sang un « in god we trust » démontrant qu'un fanatisme peut en cacher un autre. La populace, elle, suit en bon mouton de panurge, par faiblesse ou paresse intellectuelle.
Une vision forte, éminemment contemporaine – et nécessitant quelques aménagements du livret –, qui culmine dans une scène de la Gorge aux loups à couper le souffle, avec vidéos de poursuite caméra à l'épaule dans des souterrains de film d'épouvante, messe noire en arrière-plan, feu qui ravage tout, et notamment la seule trace de végétal, l'unique arbre présent dans le bunker.
Une lecture orchestrale idéalement anguleuse
Il fallait pour ne pas affaiblir la puissance du visuel une lecture orchestrale du même tonneau. Pari gagné avec la direction roide, anguleuse et souvent cinglante de Markus Stenz, qui tonne à coups de boutoir dans la fosse de la Haus für Mozart, avec des ruptures de tempo, un emportement romantique, une frénésie qui rappellent parfois Carlos Kleiber. Le Philharmonique de Vienne se plie à l'exercice en imposant des timbres acérés, entre timbales fracassantes et piccolos d'une géniale acuité.
Même excellence globale du côté du plateau. Peter Seiffert est toujours l'un des meilleurs Max du moment, d'une fièvre, d'une vigueur, d'une qualité de projection idéales, seulement à la peine dans le grave, mais d'un aigu irradiant. Le jeune John Relyea laisse l'un des Kaspar les plus noirs entendus de mémoire de webérien, de timbre rocailleux, de volume ahurissant et d'un satanisme qui empêchent pour une fois tout rapprochement de son air avec celui d'Osmin.
Le prince Ottokar de Markus Butter a des accents à mi-chemin entre Dietrich Fischer-Dieskau et Thomas Stewart, le Kuno de Roland Bracht, bien usé, remplit sa fonction, le Killian d'Alexander Kaimbacher, d'un percutant timbre de Beckmesser, laisse une scène d'exposition de la plus mordante ironie et l'Ermite du tout juste trentenaire Günther Groissböck bénéficie d'un magnifique matériau de basse noble à l'allemande.
Plus contestables sont les dames, particulièrement l'Ännchen d'Aleksandra Kurzak, coquine à souhait, au fort tempérament mais de timbre sans charme particulier, et avec de l'air sur la voix. Quant à Petra Maria Schnitzer, archétype de la voix blonde qu'utilisera abondamment Wagner, elle laisse une Agathe d'un beau frémissement, seulement handicapée par des aigus plafonnants dans les piani de la cavatine.
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Haus für Mozart, Salzburg Le 20/08/2007 Yannick MILLON |
| Nouvelle production du Freischütz de Weber mise en scène par Falk Richter et sous la direction de Markus Stenz au festival de Salzbourg 2007. | Carl Maria von Weber (1786-1826)
Der Freischütz, opéra en trois actes (1821)
Livret de Friedrich Kind
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
direction : Markus Stenz
mise en scène : Falk Richter
décors : Alex Harb
costumes : Tina Kloempken
éclairages : Olaf Freese
vidéo : Chris Kondek
préparation des choeurs : Andreas Schüller
Avec :
Markus Butter (Fürst Ottokar), Roland Bracht (Kuno), Petra Maria Schnitzer (Agathe), Aleksandra Kurzak (Ännchen), Peter Seiffert (Max), John Relyea (Kaspar), Günther Groissböck (Eremite), Alexander Kaimbacher (Kilian), Ignaz Kirchner (Samiel), Rafael Stachowiak (Samielgehilfe I), Sven Dolinski (Samielgehilfe II), Hannelore Auer, Cornelia Sonnleithner, Yoko Ueno, Arina Holecek (Brautjungfern). | |
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