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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Première au Grand Théâtre de Genève des Troyens de Berlioz mis en scène par Yannis Kokkos, sous la direction de John Nelson.
La Reprise de Troie
Anne Sofie von Otter (Didon)
Le succès remporté à leur création au Châtelet en octobre 2003 par les Troyens mis en scène par Yannis Kokkos, alors dirigés par John Eliot Gardiner, mettait la barre très haut pour leur reprise. Coproducteur, le Grand Théâtre de Genève a relevé le défi haut la main grâce une distribution superlative, confiée aux soins attentifs de John Nelson.
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Spectacle phare de l'ère Brossmann, Les Troyens coproduits par le Grand Théâtre de Genève avaient remporté les suffrages unanimes, et justifiés, du public et de la critique lors de leur création en octobre 2003 au Théâtre du Châtelet. Non pas tant d'ailleurs pour la production de Yannis Kokkos que grâce à l'exécution musicale sur instruments d'époque menée par John Eliot Gardiner qui, non contente de réhabiliter en France une oeuvre plus prisée outre-Manche et outre-Atlantique, établissait des standards d'interprétation allégée, mettant notamment en évidence la filiation avec Gluck, modèle révéré de Berlioz.
De cette révolution interprétative, confisquant l'oeuvre à une certaine tradition wagnérienne, Anna Caterina Antonacci portait le flambeau jusqu'à l'incandescence, s'élevant au rang de mythe. Pour la soprano italienne, Cassandre apparaît en effet comme le rôle d'une vie, où jamais l'interprète ne se trouve bridée par les limites d'une technique dont ses incarnations ultérieures ont révélé l'empirisme. D'autant que le personnage s'est enrichi, moins uniment transcendé par la fatalité, plus tendre face à Chorèbe, plus prophétique encore au seuil du suicide. Et toujours ce timbre en fusion, d'ardente féminité, porté par une déclamation d'une limpidité accrue.
La Didon tardive, et par là -même plus magistrale encore, d'Anne Sofie von Otter crée un absolu contraste. Blonde comme les blés de la naissante Carthage, la mezzo suédoise cisèle la langue avec un naturel confondant, maîtrisant rapidement un vibrato qui aurait pu menacer la pureté d'une ligne aux subtilités infinies. Surtout, elle transcende au dernier acte, où tant d'autres se sont réfugiées dans la vocifération, ses limites vocales et expressives présumées, ployant sous la passion avec une intensité tragique.
Face à cette Didon inhabituellement claire, Kurt Streit, peut-être plus inattendu encore que ne l'était Gregory Kunde au Châtelet, est un Enée idéal. L'espace d'une entrée manquant de fracas, le timbre aura pu sembler trop étroit, mais l'habileté avec laquelle le ténor use de la voix mixte, tel que le prescrivait Berlioz, ennemi farouche des aigus de poitrine, n'exclut ni la franchise d'émission, ni la vaillance, comme dans la redoutable exhortation précédent l'ultime duo avec Didon, sans que jamais ne soit mise en péril une admirable clarté d'élocution.
Le soin de la prosodie, et plus particulièrement son attention à l'hiatus, compensent chez le Chorèbe de Jean-François Lapointe un timbre renfrogné et une ligne un rien désordonnée, tandis que Marie-Claude Chappuis, sans la moitié du grave, ni le quart de l'aigu d'Anna parvient à imposer un personnage de chair et de sang par sa seule intelligence musicale, notamment dans le duo avec le Narbal au français anguleux de Ralf Lukas, que son vibrato de vétéran ne prive pas d'autorité. L'insolente facilité de l'Iopas de John Osborn pourrait en revanche distiller davantage de poésie, et l'Hylas de Marcel Reijans ne pas se contenter de débiter sa chanson sans grâce.
Une progression narrative contrastée
Mais si tous soignent la ligne, la diction sans forcer, c'est que John Nelson, berliozien de coeur s'il en est, veille sur un Orchestre de la Suisse Romande dont la profondeur de la fosse du Grand Théâtre, en grande partie recouverte, a pu atténuer l'éclat des cuivres, dosant de sa science spontanée une progression narrative contrastée, et irrisant le tissus orchestral jusqu'à l'extase. Préparé par Ching-Lien Wu, le Choeur du Grand Théâtre est simplement superlatif.
Quant à la production de Yannis Kokkos, à qui l'on sait gré de ne pas avoir affublé Anne Sofie von Otter de cet infâme tailleur-pantalon qui retirait toute féminité à Susan Graham à l'entrée de Didon, elle apparaît plus homogène qu'à la création, où Carthage pâlissait devant Troie. Jouant ingénieusement des effets de miroir et des projections vidéo, elle est assurément le très bel écrin d'une distribution exceptionnelle, qu'elle a un peu trop tendance à laisser les bras ballants.
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Grand Théâtre, Genève Le 16/09/2007 Mehdi MAHDAVI |
| Première au Grand Théâtre de Genève des Troyens de Berlioz mis en scène par Yannis Kokkos, sous la direction de John Nelson. | Hector Berlioz (1803-1969)
Les Troyens, grand opéra en cinq actes (1863)
Livret du compositeur d'après l'Énéide de Virgile
Choeur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
direction : John Nelson
mise en scène, décors et costumes : Yannis Kokkos
collaboration artistique : Anne Blancard
chorégraphie : Richild Springer
création d'images vidéo : Eric Duranteau
Ă©clairages : Patrice Trottier
préparation des choeurs : Ching-Lien Wu
Avec :
La prise de Troie
Anna Caterina Antonacci (Cassandre), Isabelle Cals (Ascagne), Danielle Bouthillon (Hécube), Kurt Streit (Énée), Jean-François Lapointe (Chorèbe), Nicolas Testé (Panthée), Christophe Fel (le Fantôme d'Hector), René Schirrer (Priam), Frédéric Caton (un chef grec), Marcel Reijans (Hélénus), Latou Chardonnens (Andromaque).
Les Troyens Ă Carthage
Anne Sofie von Otter (Didon), Marie-Claude Chappuis (Anna), Isabelle Cals (Ascagne), Kurt Streit (Énée), John Osborn (Iopas), Marcel Reijans (Hylas), Ralf Lukas (Narbal), Nicolas Testé (Panthée), René Schirrer (Mercure), Frédéric Caton et Marc-Olivier Oetterli (deux sentinelles). | |
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